« Faire confiance avant, vérifier après : pour un retour aux origines de la subvention » par Bernard Jacquot

De la subvention comme geste de confiance à la subvention comme instrument de gestion, l’État et les collectivités ont peu à peu inversé la logique : ce ne sont plus les associations qui proposent, mais les administrations qui cadrent selon Bernard Jacquot. Ne convient-il pas, en cherchant à simplifier, à faire confiance avant et à vérifier après ?

À l’école, dans les formations, séminaires, livres, articles[1], j’ai appris qu’une subvention était une contribution facultative décidée par une autorité administrative, justifiée par un intérêt général et destinée à la réalisation d’une action ou d’un projet, ou au financement global d’un organisme de droit privé bénéficiaire[2]. J’ai appris aussi que cette action, ce projet, est initié, défini et mis en œuvre par l’organisme bénéficiaire pour répondre à ses propres besoins. J’ai appris enfin, que la subvention est une libéralité à la discrétion de la personne publique qui l’attribue, qu’elle accordée sans contrepartie directe et qu’elle se distingue en cela des marchés publics[3].

L’appel à projets : transparence ou recentralisation ?

Et on a tous bien observé la tendance de plus en plus fréquente, consistant à procéder par des appels à projet, avec des cahiers des charges définissant plus ou moins précisément les attentes de la collectivité et laissant par conséquence moins de place aux initiatives des associations. L’appel à projet est considéré comme une subvention, s’il se limite à donner un cadre général sans fixer de modalités ni de contenus et si l’initiative, la mise en œuvre et le bénéfice de l’action reviennent au bénéficiaire.

On a tous bien compris également que les subventions en nature, sous forme de mise à disposition de locaux, de personnels, de matériels, sont regardées comme des subventions et doivent être valorisées dans les bilans comptables et les comptes rendus.

Mais à l’école de la vie, on a pu observer que, dans un bon nombre de cas, les subventions ont dérivé vers des appels à projet très encadrés, laissant peu ou pas de place à l’initiative des bénéficiaires, s’approchant dangereusement d’un appel d’offres.

Les subventions de l’Agence nationale du sport n’échappent pas à cette évolution.

Depuis longtemps, et déjà avec le CNDS, les subventions de l’Agence nationale du sport n’échappent pas à cette évolution. Le transfert de fait aux fédérations sportives de la gestion des subventions de l’État (sans transfert de moyens bien évidemment) a encore accentué la tendance. Tendance qui puise son origine dans le volonté louable des fonctionnaires chargés de gérer les enveloppes (et j’en ai fait partie) de remplir leur mission de la manière la plus transparente, égalitaire et juste sur un territoire. Il s’agissait aussi de mettre fin aux clientélismes, aux politiques de guichet, aux attributions opaques. Les fédérations, leurs dirigeants et leurs conseillers techniques sportifs, se sont vite emparés de la proposition, trouvant là une belle manière d’affirmer leur position et de déployer leur politique.

Il résulte de cette évolution, sans doute incontournable, des risques qu’il est bon d’identifier au regard du contexte actuel.

L’association bras levier de la personnel publique ?

L’association bénéficiaire doit elle devenir une simple exécutante des axes définis ailleurs ? Un bras de levier de la personne publique ? De sa fédération ? Conserve-t-elle la part d’initiative que l’histoire et la loi lui octroient ? Par ailleurs, la collectivité, l’autorité administrative, ne s’appauvrit-elle pas en limitant la créativité de ses partenaires ?

Est-ce bien le rôle et le métier d’une fédération dirigeante que de répartir l’enveloppe financière décidée par l’État ? Les moyens, le temps et l’énergie consacrés à cette gestion ne serait-il pas mieux employés à d’autres missions ? De développement, de formation, d’innovation, d’accompagnement … ?

Quelle proportion du montant brut d’une subvention doit être consacrée à sa gestion ? La multiplication des procédures, des commissions, des réunions, des concertations, ne génèrent-elle pas des coûts cachés (mais bien réels) en temps[4], énergie et finances directes qui deviennent disproportionnés au regard des montants attribués ? A t’on déjà d’ailleurs, calculé le coût de gestion d’une subvention ? Dans le contexte actuel de recherche d’économies budgétaires de tous les côtés, la question n’est pas anodine.

Retrouver l’esprit originel : faire confiance avant, vérifier après

Et enfin, la question du contrôle de la bonne utilisation des subventions, conformément à l’objet pour lequel elles ont été attribuées, reste entière ! Ce contrôle est trop rare, au mieux validé par la production d’un compte rendu non vérifié. Bon nombre de clubs savent en jouer en proposant des actions qui ne sont pas réalisées conformément aux projets présentés. La subvention, en argent, en bâtiment, en personnel ou en matériel, est un mode de soutien des collectivités, indispensables à la survie des associations et nécessaires à l’affirmation des politiques publiques, que le contexte budgétaire actuel met en danger. Ne convient-il pas dès lors d’en réinterroger tous les aspects de méthode et de gestion, notamment en cherchant à simplifier, à faire confiance avant et à vérifier après ?


[1] Trois articles à lire ou relire dans Acteurs du sport :

[2] Article 59 de la Loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire

[3] Conseil d’État, 6 juillet 1990, Comité pour le développement industriel et agricole du Choletais

[4] les anglos saxons parleraient de « bullshit jobs »

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Patrick Bayeux

Consultant, Enseignant chercheur, Docteur en sciences de gestion.

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