« Pour un sport au cœur de nos vies : refonder les politiques sportives locales et nationales » par Shems El Khalfaoui
Shems El Khalfaoui est 2e adjoint aux Sports, Développement économique, Emploi et Insertion, Jeux Olympiques et Paralympiques, Grands évènements à la ville de Saint-Denis. Il a présenté en décembre dernier au conseil municipal un « Rapport d’orientation de la politique sportive à la sortie
des jeux olympiques et paralympiques » . Une démarché inédite engagée en 2022 avec une enquête auprès des habitants, des réunions de quartier, des entretiens, des ateliers sous la forme de focus groupe, un questionnaire auprès des associations. Il nous livre sa vision sur la place que devrait occuper le sport dans la société.
Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 ont été un moment historique pour la France. Quel regard portez-vous sur cet événement et son impact sur la place du sport dans notre société ?
Les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, tant attendus, ont magnifié l’unité et la capacité de mobilisation de notre pays. Ils ont démontré que le sport est bien plus qu’un spectacle : il est une force collective, un espace où la société se construit et se transcende. Mais cet élan exceptionnel ne doit pas masquer une réalité persistante : le sport en France reste marginalisé dans les priorités de l’action publique.
Le sport occupe une place essentielle dans la société française, que ce soit en matière de santé publique, de cohésion sociale ou d’attractivité territoriale. Cependant, le rôle des collectivités territoriales (CT) dans son financement et son développement est trop souvent sous-estimé, notamment en comparaison avec l’État.
En effet, l’État consacre seulement 0,15 % de son budget au sport. Ce chiffre, bien que faible en pourcentage, devient encore plus révélateur lorsqu’on le met en perspective avec d’autres priorités budgétaires de l’État. Le sport figure ainsi parmi les domaines les moins soutenus financièrement par l’État.
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En comparaison, les collectivités territoriales portent un poids bien plus important dans le financement du sport, que ce soit pour les infrastructures, les clubs, ou encore l’organisation d’événements. En valeur absolue, leur contribution dépasse largement celle de l’État, confirmant leur rôle de premier financeur et acteur clé dans le développement du sport au niveau local. Ce constat doit donc être clarifié et renforcé dès le départ, car il constitue la base des propositions à venir sur les transformations nécessaires pour mieux accompagner les collectivités territoriales dans ce rôle essentiel. Les collectivités, premiers financeurs du sport, doivent désormais être reconnues comme les véritables architectes des politiques sportives et se voir confier un rôle stratégique transversal.
Ne le sont elles pas déjà ? Que voulez vous dire par se voir confier un rôle stratégique transversal ?
Il serait réducteur de penser que le sport se limite à ses dimensions compétitives ou ludiques. Le sport est bien plus qu’une activité : il est une clé pour répondre aux enjeux majeurs de notre société. Il structure les territoires, accompagne les transitions économiques et écologiques, renforce les solidarités et façonne les citoyens. Pourtant, il est souvent absent des grandes orientations publiques et de la réflexion stratégique des décideurs.
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Aujourd’hui, le sport est déjà partout sans être visible. Il intervient silencieusement dans nos écoles, nos hôpitaux, nos quartiers, nos espaces publics, mais sans coordination, sans pilotage centralisé. Il est utilisé comme un outil par de multiples politiques publiques – éducation, santé, inclusion, urbanisme – sans que les directions des sports ne soient reconnues comme légitimes pour en piloter l’articulation. Cette fragmentation affaiblit son impact. Ce potentiel immense est dilué dans des logiques budgétaires éclatées, des compétences cloisonnées et des actions ponctuelles. Il faut sortir de cette logique de silos et faire du sport un levier stratégique, capable d’irriguer de manière cohérente l’ensemble des politiques publiques.
Quelles sont les mesures nécessaires pour opérer cette évolution stratégique ?
D’abord, il est impératif de revoir en profondeur la manière dont les collectivités locales abordent le sport. Cela commence par une réforme des mécanismes budgétaires et des modes de gouvernance au niveau local. Notre problème aujourd’hui est une sédimentation des financements.
Aujourd’hui, les ressources allouées au sport sont dispersées entre différentes collectivités et différents services – éducation, santé, solidarité, urbanisme – sans coordination. Cette approche fragmentée nuit à l’efficacité des actions et à leur lisibilité. Mais aujourd’hui ce sont les villes qui impulsent les politiques publiques sportives et qui détiennent les leviers pour agir.
Il est temps au niveau local de regrouper ces ressources sous un pilotage stratégique unique. Un pilotage dont l’ambition serait de
- Coordonner les politiques publiques locales, en intégrant le sport dans toutes les dimensions de l’action municipale.
- Soutenir des projets transversaux, en travaillant les politiques publiques prioritaires selon les territoires et leur particularité.
- Évaluer l’impact des politiques sportives, pour démontrer leur contribution à la santé, à la cohésion sociale et au développement durable
Les budgets sportifs doivent devenir transversaux et inclure toutes les actions mobilisant le sport, qu’il s’agisse d’éducation physique dans les écoles, de programmes de sport-santé ou d’infrastructures partagées. Si ce travail était fait dans toutes les collectivités on mesurerait encore plus le poids des collectivités dans le financement du sport en France. Mais attention, mutualiser les budgets ne suffira pas c’est une première étape. Le véritable enjeu sera de les augmenter. Pour cela, il est crucial de faire évoluer la perception du sport au sein de la sphère politique et de le considérer pleinement comme une politique publique structurante.
Ensuite il est impératif de refondre la gouvernance nationale du sport. En effet cette transformation ne peut reposer uniquement sur les collectivités. L’État doit jouer un rôle d’accompagnement en :
- consolidant dans leur décision le poids économique des différents acteurs sur un temps long.
- Instaurant des mécanismes de fléchage budgétaire pour soutenir les projets transversaux portés par les collectivités.
- Encourageant une coordination inter-ministérielle pour intégrer le sport dans toutes les politiques nationales.
Ceci implique une nouvelle manière de travailler. Quelles évolutions concrètes doivent être mises en place selon vous ?
Refonder les politiques sportives ne consiste pas simplement à injecter des moyens supplémentaires. C’est une transformation culturelle de la gouvernance locale et nationale.
- Passer d’une logique d’outil à une logique de levier. Le sport ne doit plus être perçu comme une action complémentaire, mais comme une matrice capable d’organiser et de renforcer les autres politiques publiques.
- Renforcer les partenariats. Les collectivités doivent s’appuyer sur les associations, les clubs, mais aussi sur le secteur privé et les financements européens pour multiplier les ressources disponibles.
- Instaurer une évaluation continue et des indicateurs de performance. Trop souvent, les politiques sportives sont mises en place sans un véritable suivi de leur impact sur la santé publique, l’inclusion sociale ou l’aménagement du territoire. Il est essentiel de créer des outils d’évaluation permettant de mesurer concrètement les effets des investissements et des actions menées.
De façon urgente et dans le cadre de l’héritage des JOP de Paris 2024 je pense qu’il faut être plus clair sur les moyens nécessaires et le cadre législatif à mettre en place pour accompagner ces transformations. Des mesures comme un meilleur encadrement des paris sportifs (que le sport revienne au sport) ou l’accès au droit sportif me semblent important entre autres Concernant les partenariats, je pense qu’il faut aller au-delà du constat actuel et réfléchir à des outils pour mieux les structurer. Je veux aussi vraiment insister sur la particularité du secteur, notamment la place centrale du bénévolat, souvent peu valorisé, par opposition à un secteur comme la culture, qui est plus professionnalisé et mieux structuré.
Quel message souhaitez-vous faire passer aux décideurs publics pour faire du sport un véritable levier républicain ?
Le sport est une clé de transformation, un outil pour répondre aux grands défis contemporains : santé publique, inclusion, éducation, transition écologique, solidarité. Mais il ne peut remplir ce rôle qu’à condition d’être reconnu, structuré et valorisé.
Il est temps de sortir de l’attentisme. Si l’État ne peut pleinement assumer cette ambition, les collectivités, par leur proximité avec les citoyens et leur capacité d’innovation, doivent devenir les architectes de cette transformation. Mais pour cela, elles ont besoin d’un cadre national cohérent, de moyens accrus et d’une reconnaissance stratégique.
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont montré ce que la France pouvait accomplir lorsqu’elle mobilisait toutes ses forces. Transformons cet élan en une dynamique durable. Faisons du sport un pilier de la République, un moteur de cohésion et un levier de progrès pour les générations à venir.
Le sport ne doit plus être un supplément d’âme, mais l’une des colonnes vertébrales de nos politiques publiques.