De la difficulté de pousser à la démission un dirigeant sportif défaillant. Colin MIEGE, Sport et Citoyenneté

Dans sa lettre du 3 mars dernier adressée aux responsables du comité de déontologie du CNOSF, la présidente de l’instance faîtière du sport français rappelle sobrement que « ces derniers mois ont émergé un nombre important de sujets ayant trait à l’éthique et à la déontologie du sport ». Selon elle, une telle situation justifie un renforcement du rôle du comité de déontologie, qui pourrait voir ses compétences élargies et son indépendance accrue, tout en obtenant la capacité de s’auto-saisir. Cette initiative fait écho au projet de la ministre des Sports de mettre en place un comité national en vue de faire des propositions sur l’éthique et la vie démocratique dans le sport. Les démarches convergentes de l’État et du mouvement sportif vont assurément dans le sens souhaitable, tant il paraît nécessaire aujourd’hui de prévenir davantage les dérives potentielles des dirigeants sportifs, et de les sanctionner le cas échéant de façon appropriée.

Une intervention étatique singulièrement limitée

S’agissant de l’intervention étatique dans la gouvernance des fédérations sportives, on peut rappeler qu’elle est singulièrement limitée, en vertu du principe de non-ingérence dans la vie associative et d’indépendance du mouvement sportif inscrit dans la loi[1] . L’État se borne en effet à contrôler l’activité des fédérations sportives, en veillant au respect des lois et règlements en vigueur[2]. Ainsi, en cas de dérive avérée du comportement d’un dirigeant sportif, comme on a pu le voir successivement pour les présidents des fédérations de sports de glace, de rugby ou de football, le ministre en charge des sports n’a comme seule ressource que de diligenter une inspection pour établir les faits reprochés, convoquer les intéressés et les inciter à abandonner leurs fonctions avant terme, le cas échéant[3] . Bien que limitée, cette capacité n’est pas exempte de risque : non seulement les intéressés ne sont guère disposés spontanément à quitter prématurément leurs fonctions en dépit de la pression ministérielle et de l’opinion publique, mais ils peuvent contre-attaquer et traduire le ministre en justice pour atteinte à leur réputation, voire diffamation.

Affaire  Gailhaguet : La ministre a manqué à son obligation d’impartialité

C’est la voie empruntée avec succès par le président de la fédération des sports de glace, Didier Gailhaguet, qui avait été contraint en interne de cesser ses fonctions [4]. Devant le juge administratif compétent, il a soutenu notamment que la ministre des Sports de l’époque, en réclamant sa démission avant la remise du rapport confiée à l’inspection générale, avait méconnu son droit à un procès équitable garanti par la CEDH, qu’elle avait exercé une pression sur le conseil fédéral en brandissant la menace d’un retrait de la délégation, et qu’elle avait manqué à son obligation d’impartialité en communiquant dans les médias, ce qui avait conduit de façon décisive à sa démission. Tout en rejetant certains arguments du plaignant, le juge a estimé que la ministre était allée trop loin dans ses propos, en liant la démission du président au retrait de l’agrément ou de la délégation de la fédération, sans attendre l’établissement des faits par l’inspection générale, ce qui a contraint le conseil fédéral à entériner la démission. Ce faisant, la ministre aurait porté atteinte à l’image et à la réputation de M. Gailhaguet, qui s’est vu accorder 5 000 euros en réparation du préjudice subi[5].

Affaire Le Graet : la responsabilité étatique pourrait être de nouveau engagée

Les faits reprochés au président de la fédération de football, Noël Le Graet, sont certes d’une autre nature, mais lui aussi a été contraint de démissionner du comité exécutif de la fédération sous la pression de la ministre des Sports. Suite à son éviction forcée, il a dénoncé à son tour une manipulation en vue d’un rapport d’inspection à charge, et a décidé de porter plainte pour diffamation contre la ministre, cette fois devant la Cour de justice de la République. Ainsi dans cette affaire aussi, la responsabilité étatique pourrait être de nouveau engagée, ce qui illustre les limites du pouvoir ministériel dans ce type de contentieux, et l’étroitesse des voies dont il dispose. Plutôt que de le déplorer, mieux vaut s’en féliciter, car c’est le propre de l’état de droit que de bannir toute tentative d’immixtion de la puissance publique dans la vie associative qui reste une liberté fondamentale, et d’offrir des voies de recours au plaignant. A l’inverse, les exemples d’instrumentalisation du sport associée à la manipulation de ses dirigeants sont l’apanage des régimes autoritaires et non démocratiques.

« Il appartient au gouvernement de renforcer encore le cadre législatif et réglementaire et au mouvement sportif de perfectionner les mesures de prévention et de contrôle« 

Reste qu’on ne peut  pas laisser le mouvement du sport remédier seul à ses défaillances, comme l’a si bien dit l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Dans la vaste entreprise  visant à renforcer la bonne gouvernance du sport, à prévenir les dérives de ses dirigeants et à les réprimer de façon appropriée, les responsabilités sont partagées. Il appartient au gouvernement de renforcer encore le cadre législatif et réglementaire, et de s’assurer davantage de son respect. Il incombe au mouvement sportif de perfectionner les mesures de prévention et de contrôle, encore imparfaitement mises en œuvre. Enfin de façon conjointe, il semble désormais opportun d’envisager la mise en place de modalités de contrôle et d’évaluation externes, émanant le cas échéant d’une instance indépendante et incontestée.

L’approche des JOP de 2024 et l’héritage qu’ils sont supposés laisser à la nation ne peut s’accommoder de laxisme en la matière. D’une manière plus générale, la contradiction entre un sport considéré comme un bien public, censé incarner un ensemble de valeurs, et la persistance dans les fédérations de fonctionnements peu démocratiques et de modes de régulation défaillants doit enfin être surmontée, sous peine de perdre toute crédibilité.


[1]Cf. code du sport, art L131-1 : « Les fédérations sportives () exercent leur activité en toute indépendance ».

[2]Code du sport, art. L.111.1

[3] Nonobstant une possible action en justice pour d’éventuels délits susceptibles d’être réprimés pénalement.

[4] M. Gailhaguet avait annoncé sa démission de la présidence de la FFG le 8 février 2020, à l’issue d’un conseil fédéral extraordinaire.

[5]TA de Paris, 14 janvier 2022, n° 2008096/6.

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