Comment mieux prévenir les « comportements déplacés » des dirigeants sportifs ? par Colin Miège

De Didier Gailhaguet, président de la fédération des sports de glace, à Noël Le Graët président de la FFF, en passant par Bernard Laporte, président du rugby français, les exemples de comportements répréhensibles au regard des normes éthiques et déontologiques n’ont pas manqué dans la période récente. On pourra expliquer sans les justifier ces agissements par un sentiment d’impunité résultant d’une durée excessive dans l’exercice des fonctions, et un fonctionnement interne de type clanique, fréquent dans les instances dirigeantes du sport.

Pourtant, les ministres successifs en charge des sports n’ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de prévenir ces manquements, auxquels l’opinion est d’autant plus sensible que le sport est considéré comme un bien public et que les fédérations concernées ont fait l’objet d’une délégation ministérielle en vue de promouvoir leurs disciplines.

Il n’a jamais été envisagé de conférer au ministre des sports la capacité de démettre de ses fonctions un président de fédération convaincu de graves manquements

Ainsi, les procédures d’attribution de l’agrément et de la délégation ministériels accordés aux fédérations sportives ont été sensiblement renforcées en 2021 et 2022[1]. Il en résulte que la délivrance de l’agrément, désormais renouvelable tous les huit ans, est conditionnée à la souscription d’un contrat d’engagement républicain[2]. Pour les fédérations agréées, ce contrat républicain comporte en outre l’engagement de veiller à la protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs, notamment vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles.

Quant à la délégation attribuée aux fédérations sportives, elle est soumise à présent à la souscription d’un contrat dont le contenu a été précisé par décret[3]. Ce contrat de délégation indique notamment la liste des engagements pris par la fédération en matière de protection de l’intégrité physique et morale des personnes, en particulier des mineurs, de préservation de l’éthique et de l’équité des compétitions sportives, de développement durable et de bonne gouvernance. La loi a imposé aux fédérations délégataires d’autres obligations : parité femme-homme dans les instances dirigeantes dès 2024, renforcement du rôle des clubs affiliés dans le processus électoral, limitation à trois du nombre de mandats d’un même président fédéral, mesures diverses visant à renforcer la sécurité des adhérents…[4]

En dépit de l’affirmation selon laquelle « les fédérations exercent leur activité en toute indépendance »[5], l’État n’a donc cessé d’instaurer de nouvelles exigences quant à la conduite de leur activité, leur mode de gouvernance et leur déontologie. Toutefois, il n’a jamais été envisagé de conférer au ministre des sports la capacité de démettre de ses fonctions un président de fédération convaincu de graves manquements. Ce type d’interférence dans la vie associative est en effet contraire à la démocratie et à l’état de droit, et la responsabilité en incombe à la fédération elle-même, en vertu de ses statuts, nonobstant les éventuelles procédures judiciaires.

De fait le juge exerce un contrôle étroit sur la non-interférence du pouvoir étatique, comme on a pu le vérifier en 2020 dans l’affaire Gailhaguet. Ce dernier s’était vu reprocher son inaction après la révélation des agressions sexuelles que la patineuse Sarah Abitbol avait subies de la part de son ancien entraîneur. Devant le retentissement médiatique de l’affaire, la ministre chargée des sports a convoqué M. Gailhaguet au ministère, lequel a annoncé début février 2020 sa démission de la présidence de la FFSG, à l’issue d’un conseil fédéral extraordinaire. Toutefois, l’intéressé s’est ensuite adressé au juge administratif pour obtenir de l’État une indemnisation au titre des préjudices matériels et moraux qu’il aurait subi du fait de sa démission forcée. Par un jugement du 14 janvier 2022, le tribunal administratif de Paris a reconnu son préjudice moral, et a condamné l’Etat à l’indemniser à hauteur de 5 000 euros[6].

Le  dispositif d’auto-contrôle sur l’éthique et la déontologie  qui repose sur la volonté des acteurs, n’a manifestement pas suffi à empêcher les dérives.

Le mouvement sportif a aussi sa part à prendre pour assurer le respect des règles déontologiques par ses membres. A ce titre, la loi a conféré au CNOSF un rôle directeur, en indiquant qu’il «veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport définies dans une charte établie par lui »[7]. Dans une certaine discrétion, le CNOSF a adopté une nouvelle charte d’éthique et déontologie lors de son Assemblée générale du 23 mai 2022, dont l’article 17 dispose notamment que « les dirigeants des organisations sportives exercent leurs fonctions en toute probité, intégrité, impartialité et transparence. Ils préviennent tout conflit d’intérêts ».

Les fédérations délégataires sont tenues à leur tour d’établir une charte d’éthique et de déontologie conforme aux principes définis par la charte du CNOSF. Elle doivent instituer un comité d’éthique dont elles garantissent l’indépendance, qui a pour rôle de « veiller à l’application de la charte ainsi qu’au respect des règles d’éthique, de déontologie, de prévention et de traitement des conflits d’intérêts »[8]. Ce dispositif d’auto-contrôle, dont la mise en oeuvre  repose sur la volonté des acteurs, n’a manifestement pas suffi à empêcher les dérives que l’on a pu constater ici ou là. Serait-il dès lors opportun de recourir à une autorité de contrôle extérieure, comme certains le préconisent ?

Pour l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe « on ne peut pas laisser le mouvement sportif remédier seul à ses défaillances »

Dans une résolution sans concession adoptée en janvier 2018, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe s’est déclarée « persuadée que l’auto-évaluation est loin de constituer une base suffisante pour parvenir aux objectifs à long terme de bonne gouvernance dans le sport ». C’est pourquoi elle a souhaité « que soit établi et mis en œuvre un ensemble solide de critères de bonne gouvernance harmonisés, qui devraient être élaborés en faisant appel au système d’un organisme de normalisation incontestable et mondialement reconnu, comme l’Organisation internationale de normalisation (ISO), en créant une norme de certification ISO sur la gouvernance des organisations sportives ».  Tout en reconnaissant l’importance de l’autonomie dans le sport,elle affirme cependant  sans ambage que « toute autonomie entraîne une responsabilité et ne devrait être octroyée que si une bonne gouvernance dans la pratique est avérée ». L’Assemblée estime enfin « que l’on ne peut pas laisser le mouvement sportif remédier seul à ses défaillances. Il doit accepter d’impliquer de nouveaux acteurs pour adopter les réformes nécessaires ».

Ceux qui se font une certaine idée de l’éthique du sport et de sa bonne gouvernance pourront souscrire à la fermeté de ces propos peu accommodants. Reste qu’on imagine difficilement qu’un dispositif de certification et de contrôle externe et indépendant puisse être mis en place sans l’aval du mouvement sportif, aussi bien au niveau national qu’international. Sur le court terme, il parait opportun de plaider en sa faveur afin que les esprits évoluent, pour aboutir – peut-être plus rapidement qu’on le pense – à une acceptation telle qu’elle prévaut déjà dans le monde de l’entreprise. Dans l’immédiat, il faut continuer à miser sur les ressorts des régimes démocratiques, comme les lanceurs d’alerte, l’action des médias qui empêchent que les errements dénoncés soient étouffés, ou encore le signalement des faits répréhensibles auprès de l’autorité judiciaire en vertu de l’article 40 du code pénal, pour ne citer qu’eux. Sans omettre non plus le rôle de la Cour des Comptes, qui s’est emparée avec entrain des questions sportives, et qui suit avec une vigilance critique l’organisation des JOP de 2024.


[1]Du fait essentiellement de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (art.63), de la loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France (art. 29 à 31), et de leurs décrets d’application.

[2]Contrat d’engagement républicain dont les engagements, au nombre de sept, ont été précisés par le décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021.

[3]Décret n° 2022-238 du 24 février relatif aux conditions d’attribution et de retrait de la délégation accordée aux fédérations sportives, ainsi qu’au contenu et aux modalités du contrat de délégation, modifiant les articles R.131-28 et suivants du code du sport.

[4]Loi n° 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France.

[5]Code du sport, art. L131-1

[6] TA de Paris, 14 janvier 2022, n° 2008096/6-3. Selon le juge, la ministre des sports est allée trop loin dans sa communication médiatique, en liant la démission de M. Gailhaguet au retrait de l’agrément ou de la délégation de la fédération, ce qui aurait contraint le conseil fédéral à l’entériner, sans attendre l’établissement des faits par l’inspection générale.

[7] Code du sport, art. L141-3.

[8] Code du sport, art. L131-15-1. « Le comité d’éthique est compétent pour déterminer la liste des membres des instances dirigeantes nationales et régionales des fédérations délégataires qui lui adressent une déclaration faisant apparaître les intérêts détenus à la date de leur nomination, au cours des cinq années précédant cette date et jusqu’à la fin de l’exercice de leur mandat. Il saisit la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de toute difficulté concernant ces déclarations d’intérêts».

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