La gouvernance du sport, les rendez-vous manqués du CNOSF par Gérard Deshayes
Gérard Deshayes est Inspecteur général honoraire de la Jeunesse et des Sports et ancien président de la FF de la Retraite sportive
Les élections à la présidence du CNOSF approchent, les candidats affinent leur programme et font assaut de propositions. Mais où sont les véritables changements ? Où sont les remises en cause du système ?
Des programmes qui ignorent l’essentiel.
Les candidats présentent un programme très fouillé, très complet, très bien présenté avec force titres, paragraphes, professions de foi. Ils sont, malgré leurs différences dans le droit fil du dispositif existant. Or il conviendrait de s’interroger sur le système de gouvernance lui-même qui n’a pas été questionné dans la dernière mandature, tant les élus du CNOSF et des fédérations ont préféré faire perdurer le système.
Quels sont ses défauts ?
Le CNOSF est le représentant en France du CIO. Il ne peut donc que donner la part belle dans ses décisions aux fédérations qui préparent les JO et, par extension, à celles qui préparent d’autres échéances mondiales. Ainsi les représentants des fédérations non olympiques ne peuvent être que les invités à la table des grands sans pouvoir décider du menu. L’aspiration montante des Français à des pratiques plus souples, plus axées sur les questions de santé passe ainsi au second plan alors qu’il y a là un mouvement de fond.
Le CNOSF a révélé sa faiblesse lors de la création de l’ANS en acceptant ce mariage de carpes et de lapins (l’Etat, le mouvement sportif, les entreprises et les collectivités). Pire en étant vice-président de l’ANS, il se retrouve pieds et poings liés face au seul réel financeur de l’Agence, l’Etat.
Le CNOSF a montré sa faiblesse lors du débat sur les CTF où il a cédé à ces personnels dont chacun sait qu’ils disposent d’un statut que seuls les Français, héritiers de Descartes (!), peuvent inventer. Sans omettre l’inéquité des répartitions de CTF par fédération qui perpétuent des attributions historiques sans tenir compte des ressources propres des diverses fédérations. Il continue de soutenir les revendications de ces agents dont le statut doit enfin être revu : rattachement progressif auprès des fédérations après remise à plat des attributions actuelles, compensation des salaires par une aide publique contractualisée sur projet. Pilotage par les directeurs techniques nationaux, eux aussi choisis par les présidents de fédération en toute indépendance. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de spolier des personnels sans lesquels le mouvement sportif français n’aurait pas progressé comme il l’a fait. Il s’agit de changer leur pilotage en garantissant, pour tous ceux qui sont en place, un maintien de leur statut d’agent public.
Quelles solutions ?
Une indépendance par rapport au ministère des Sports permettant au CNOSF de gérer les moyens publics mis à sa disposition (augmentés des moyens privés existants et de moyens nouveaux que le statut d’unique représentant du mouvement sportif français devrait générer)
Cette mission reviendrait donc à encadrer complètement les fédérations, comme à répartir les budgets nécessaires à leur action. Le CNOSF jouerait donc pleinement un rôle d’impulsion, de coordination et de financement des fédérations. Il dépasserait son rôle hybride actuel, qui tente d’assoir sa légitimité en tentant de coordonner des actions de lobbying, de réflexion, d’animation de colloques et autres réunions de groupes de travail la plupart du temps totalement stériles.
Création d’une délégation aux activités sportives ne conduisant pas à participation des licenciés au JO et championnats du Monde. Elle disposerait de moyens globalement individualisés par l’Etat, complétés là aussi de moyens privés que le CNOSF serait incité à distraire de l’enveloppe récupérée sur des recettes de « merchandising » et de partenariat.
Fonctionnement de la structure CNOSF et de sa délégation sur le modèle des comités des autres nations avec, une fois le contrat global conclu avec l’Etat, une responsabilité de pilotage et de répartition des fonds publics et privés au profit des fédérations.
Bien évidemment, l’Agence si elle devait persister, deviendrait un organe technique sous l’autorité du CNOSF nouveau.
Quelle place pour l’Etat ?
Le rôle de l’Etat qui était historiquement peu rationnel quand bien même l’efficacité l’a longtemps caractérisé devrait évidemment évoluer. En effet comment expliquer qu’un agent public payé par l’Etat prend ses « ordres » auprès d’un dirigeant élu qui lui doit un complément de rémunération sans pouvoir le sanctionner en cas de manquement ou d’insuffisance professionnelle. Trop longtemps une perméabilité a permis aux agents de passer de la direction des sports aux fédérations ou au CNOSF et inversement. Cette consanguinité doit à présent cesser et l’Etat dont l’autorité a ainsi été sapée au fil des années doit retrouver toute l’indépendance et la dignité de son action.
L’Etat ne peut à la foi édicter les grandes lignes de l’attente de la nation en terme de résultats au plus haut niveau, comme en ce qui concerne la pratique sportive pour chacun (avec sa dimension santé physique et mentale) et participer à leur mise en œuvre. En effet les opérateurs sont, dans notre vision démocratique, les fédérations et associations reconnues dans cette compétence par la puissance publique. Dès lors celle-ci doit se réserver les prérogatives qui lui reviennent : la prescription et le contrôle de l’exécution du contrat qui la régit. Prescrire c’est définir les grandes lignes des attentes des citoyens et rendre, en parallèle, le mouvement associatif totalement responsables de sa mise en œuvre.
La répartition des rôles permettra aux acteurs de jouer chacun le sien : le mouvement sportif pour remplir sa mission en toute indépendance, l’Etat pour en contrôler la bonne exécution.
Et que la notion de contrôle cesse d’être agitée comme un épouvantail : toute délégation, toute attribution de moyens s’accompagne d’un contrôle. Il n’y a là pas lieu de craindre quoi que ce soit. Au contraire le contrôle est motivant, car il est miroir de l’action. Ajoutons qu’il doit, bien sûr, être encadré par une règle déontologique claire et une instance d’appel.
Le CNOSF a manqué ses rendez-vous en baissant la garde pour n’obtenir qu’un poste de vice-président dans une agence que l’Etat continue, en la finançant, de piloter à l’instar de ce que faisait la direction des sports.
Il n’a pas su prendre position dans l’affaires des CTF par crainte de déplaire à ce puissant groupe d’agents publics. Il a craint également les foudres des fédérations bien dotées d’une part, sous l’influence des mêmes cadres d’autre part.
Sans courage politique, le CNOSF et ses futurs dirigeants resteront dans une position floue, frustrante et, par ailleurs confortable, avec des moyens propres et peu de responsabilités opérationnelles. Confortable certes mais ni efficace ni glorieux.
L’avenir.
Il est à craindre qu’une fois élus sur un programme de continuité, les dirigeants du CNOSF ne soient ligotés par celui-ci. Surtout avec la perspective de Paris 2024 qui a servi d’épouvantail aux CTF : « toucher à notre statut, c’est aller à la catastrophe aux JO » alors que nombre de sportifs de haut niveau ont des entraineurs privés ou s’exilent pour se préparer.
Pour autant, la prise de conscience des limites du système actuel se fera très vite dans cette période où les institutions sont bousculées. Impossible pour les candidats d’être élus sur un programme de rupture par peur de l’inconnu et conservatisme. Mais le renouvellement de plus de 50% des présidentes et présidents de fédérations, associé à une nouvelle équipe dirigeante au CNOSF fera sans doute germer des velléités de changement, ne serait-ce qu’en raison d’ambitions nouvelles dans les programmes des candidats.
Le changement ce n’est peut-être pas pour maintenant, mais pourquoi pas pour bientôt.