Madame la ministre déléguée aux Sports est intervenue la semaine dernière dans 2 webinaires sur les piscines. Elle a invité les acteurs du sport à faire des propositions. C’est l’objet de cette contribution.
S’il est effectivement important que le ministère se préoccupe de la mise en place des protocoles sanitaires dans les piscines, j’en attends plus. Ce que j’attends d’une ministre c’est de porter une vision, de fixer un cap, de définir des grandes orientations politiques.
En matière de natation quelle est votre politique Madame la ministre ?
Il y a bien eu la conférence de consensus sur l’aisance aquatique mais vous en conviendrez ça ne constitue qu’une brique d’une politique publique et surtout un outil opérationnel. Quant au financement par l’Agence « des projets intégrant un bassin d’apprentissage », là encore, c’est un moyen pas une orientation.
Une politique publique se construit sur 4 niveaux :
- le niveau politique : relève de la décision des élus et consiste à définir des grandes orientations politiques au regard de valeurs personnelles ou collectives dans un contexte déterminé ;
- le niveau stratégique : c’est la définition des programmes d’actions par rapport aux objectifs stratégiques. C’est le niveau d’identification des enjeux (la mise en relation des plans d’actions par rapport aux orientations – en gris dans le schéma). Les objectifs proches constituent une orientation politique ;
- le niveau tactique : consiste à définir le mode de gestion le plus pertinent, les outils à mettre en place ;
- le niveau opérationnel : le niveau des actions à réaliser, des outils à mettre en œuvre.
Tout ce que je lis aujourd’hui relève du niveau opérationnel ou au mieux du niveau tactique…
Pour être concret, car bien sûr tout ceci nécessite un travail plus approfondi à partir d’un diagnostic partagé plus précis que le nôtre et surtout une démarche concertée avec les acteurs du sport, voici ce que pourrait être une politique publique du savoir nager en France.
A propos du diagnostic le constat est le suivant :
- il n’existe aucune statistique sur le savoir nager en France. Pire on ne connaît pas le nombre d’enfants qui bénéficient d’un enseignement et pas plus, pour ceux qui en bénéficient, le nombre de séances ;
- on ne connaît pas les raisons pour lesquelles certains enfants n’apprennent pas à nager à l’école. Déficit de m2 de plan d’eau, problème de transport, motivation des enseignants, déficit d’encadrement…. Au sujet de l’offre en m2 de plan d’eau on rappellera que selon un rapport de l’IG de 2014, il y avait 1600000 m2 de plan d’eau en France. Si on considère que la moitié de cette offre est couverte, on est à 800 000 m2 de plan d’eau. Sachant qu’il y a 4,2 millions d’élèves à l’école élémentaire, un rapide calcul montre que pour réaliser 2 cycles de 10 à 11 séances il faut 246 000 m2 de plan d’eau et 4 cycles 481 000 m2 de plan d’eau soit pratiquement la moitié de l’offre. Moralité il serait temps de mener un véritable diagnostic d’autant plus que, selon le même rapport, le CNDS a consacré sur 8 ans 126 M€ aux piscines sans aucune évaluation de l’impact sur le savoir nager ! Une politique qui coûte selon nos calculs 1 milliard par an à la collectivité publique dans son ensemble.
Revenons à ce que pourrait être une politique publique du savoir nager !
4 orientations politiques :
1 – Rendre les activités aquatiques accessibles à tous,
2 – Prévenir les noyades,
3 – Apprendre à nager,
4 – Soutenir le développement des activités pour la santé.
11 objectifs :
- prévenir les noyades,
- apprendre à nager,
- favoriser la pratique physique,
- faciliter le maillage du territoire,
- clarifier le savoir nager du « être à l’aise dans l’eau »,
- rendre plus efficace et plus efficient l’apprentissage de la natation,
- faciliter l’encadrement des séances d’activités,
- être plus efficaces dans les apprentissages en matière de savoir nager,
- être plus efficace dans la prévention des noyades,
- mieux cibler les efforts collectifs,
- sensibiliser aux effets bénéfiques de la natation.
4 programmes d’actions :
- Soutien à la construction de bassins de natation,
- Modification de la réglementation et des formations,
- Réorganisation de l’apprentissage de la natation et renouvellement des méthodes d’enseignement (didactique et pédagogie),
- Mise en place de dispositifs d’observation et d’outils de communication.
10 plans d’actions
Chaque programme comprend plusieurs plans d’action :
- Soutien à la construction de bassin de natation :
- 1 – définition d’une politique de soutien à la construction d’équipements sportifs dans le cadre de l’agence nationale du sport (Etat, CT, FFN, délégataires) ;
- 2 – innovation avec la création d’une nouvelle génération de bassin de proximité faible profondeur ;
- Modification de la réglementation et des formations :
- 3 – redéfinition des objectifs du savoir nager et création d’un test « je suis à l’aise dans l’eau » ;
- 4 – simplification du cadre réglementaire de la surveillance et de l’encadrement des activités aquatiques ;
- 5 – évolution du dispositif de formation / certification ;
- 6 – Simplification de la procédure POSS ;
- Réorganisation de l’apprentissage de la natation et renouvellement des méthodes d’enseignement (didactique et pédagogie) :
- 7 – Mise en place d’une nouvelle organisation à l’école en faveur du savoir nager et du « je suis à l’aise dans l’eau » ;
- 8 – Diffusion d’une méthode pédagogique simple et efficace ;
- Mise en place de dispositifs d’observation et d’outils de communication :
- 9 – Mise en place d’une campagne de communication ;
- 10 – création d’un baromètre national.
Pour illustrer la déclinaison d’un plan d’action prenons le plan d’action numéro 1. Il va de soit que la politique de soutien à la construction d’équipements sportifs doit être traitée au niveau de l’Agence nationale du sport, mais c’est aussi le cas pour la plupart des plans d’actions.
Comme le précise le préambule des statuts de l’Agence « chaque membre s’engage à mobiliser, en faveur de ce projet commun et d’intérêt général, sa capacité d’influence et d’intervention pour entraîner ses adhérents et ses réseaux dans la mise en œuvre de ce nouveau modèle. »
Considérons que l’apprentissage de la natation est une politique publique et que « cette action s’inscrit dans le cadre de la stratégie définie par l’Etat dans une convention d’objectifs conclue entre l’Agence et l’Etat. » comme le prévoit l’article 3 des statuts de l’Agence.
Chaque acteur en débat au sein de ses instances pour savoir comment se positionner et mobiliser son réseau au service de cette politique.
Au final on pourrait avoir cette configuration dans laquelle l’Agence finance les bassins d’apprentissage, les régions se mobilisent pour les financements des équipements structurants (les bassins de compétition), les départements financent le fonctionnement des lignes d’eau avec un financement des collèges à la ligne d’eau voire, dans certains cas, le financement de l’investissement. Le bloc communal assurera le financement complémentaire et maîtrise d’ouvrage des piscines. Quant aux privés, certains d’ailleurs sont prêts à franchir le pas pour construire des bassins d’apprentissage privés, sous réserve d’un achat de créneaux par les collectivités locales pour les scolaires.
Voilà ce qui devrait figurer dans une délibération de l’Agence qui fonctionne comme un GIP. Sur les territoires ce dispositif serait bien évidemment débattu au sein des conférences régionales, les modalités de financement seraient arrêtées par les financeurs. La répartition des interventions entre les différents niveaux servirait la mise œuvre non redondante d’une politique publique de la natation.
On pourrait décliner ainsi tous les plans d’actions. Mais est-ce bien nécessaire ?
Cette politique publique permettrait d’initier le mouvement de ce que vous appelez de vos vœux avec l’ANS pour une nouvelle gouvernance, sur un projet qui rassemble, qui pourrait être évalué chaque année, sur lequel il serait simple de communiquer et qui marquerait votre passage au ministère.
Voilà Madame la ministre ce qu’on attend de vous et pas uniquement sur la natation. Fixer le cap, donner du sens.