Régis Juanico : Il faut un acte 2 de la prescription des activités physiques adaptées

Interview de Régis Juanico Député honoraire. Expert en politique publique sportive, membre du collectif « Pour une France en Forme ».

Régis Juanico publie dans une semaine avec la participation de Hakim Khellaf « Bougeons Manifeste pour des modes de vies plus actifs  » aux éditions de l’aube. Nous l’avons interrogé sur les raisons de la publication de cet ouvrage, sur la situation actuelle du « Sport santé » en france et sur ses attentes du nouveau ministre de la santé Aurélien Rousseau.

Pourquoi avoir publié cet ouvrage qui sortira dans une semaine ?

Comme le souligne fort justement le professeur François Carré dans sa préface, « Bougeons ! Manifeste pour des modes de vies plus actifs » n’est pas seulement une alerte de plus sur la « bombe à retardement sanitaire » que représente l’excès de sédentarité et l’inactivité physique, mais cet ouvrage permet à nos concitoyens et aux pouvoirs publics de disposer d’un vade-mecum, d’une boîte à outils pour lutter contre ce que j’appelle la nouvelle « addiction à la chaise et aux écrans » et remettre les Français en mouvement tout au long de la vie. Avec Hakim Khellaf, nous en appelons à une véritable mobilisation générale.

Cette addiction tue à petit feu : le coût de l’inactivité et de la sédentarité se calcule en dizaines de milliers de décès prématurés chaque année. Son coût social et financier est colossal. Elle se traduit aussi par le développement galopant de maladies chroniques qui désormais touchent aussi les jeunes générations : diabète, infarctus du myocarde et dépression ne sont plus seulement des « maladies d’adultes », et la crise sanitaire est venue en rajouter encore une couche ! 

Et pourtant, le gouvernement communique beaucoup sur la nécessité de pratiquer des activités physiques et sportives ?

Les injonctions et exhortations sanitaires à l’instar du fameux slogan « Manger-bouger » sont bien souvent inefficientes et peuvent même être contre-productives. Un élément clé est de trouver une activité pour laquelle on a du plaisir. Pour cela, nous devons passer d’une logique de « sport santé » parfois dissuasive au « sport plaisir » qui passe par la littératie physique.

La littératie physique, concept très répandu au Canada, c’est la « motivation, la confiance, la compétence physique, le savoir et la compréhension qu’une personne possède et qui lui permettent de valoriser et de prendre en charge son engagement envers l’activité physique comme facteur de santé et d’épanouissement tout au long de sa vie ».

Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris qui auront lieu à l’été 2024 nous invitent à construire une politique publique de lutte contre la sédentarité ambitieuse, transversale avec un héritage sportif, territorial, sociétal qui soit durable, partout en France.

L’activité physique est le premier levier de lutte contre la sédentarité et le meilleur bouclier pour protéger sa santé, comme la crise sanitaire du Covid-19 nous l’a confirmé. C’est pourquoi nous identifions dix mesures en faveur de modes de vie plus actifs, de la naissance à la fin de vie, qui constituent, à nos yeux, une stratégie nationale cohérente de lutte contre la sédentarité.

Cette stratégie nationale de lutte contre la sédentarité passe, dès les premiers jours de la vie, par un plan ambitieux de développement des activités physiques : à l’école, avec au moins une heure d’activité physique quotidienne, le renforcement des horaires d’enseignement de l’éducation physique et sportive (EPS) et la généralisation des tests de condition physique. puis dans l’enseignement supérieur, en développant des « campus actifs promoteur de santé », dans la vie active pour améliorer la qualité de vie au travail et prévenir l’usure professionnelle, dans les établissements sociaux et médico-sociaux, notamment les Ehpad, en outil de prévention des risques liés à la perte d’autonomie et en direction des 12 millions de personnes en situation de handicap.

Lutter contre la sédentarité, c’est aussi penser nos espaces autrement, par la promotion de nouvelles formes de mobilité au cœur de nos territoires, le développement des mobilités actives (marche, vélo…), de dispositifs innovants de design actif, d’aménagement des espaces publics : sentiers pédestres, pistes cyclables sécurisées, parcs et aires de jeux, mais aussi cours de récréation, bâti scolaire (il faut bouger en classe !) et les derniers cinq cents mètres aux abords des écoles pour favoriser l’activité physique des Français à proximité de chez eux.

Enfin, la prescription d’activité physique adaptée doit progressivement faire l’objet d’une prise en charge financière pour être accessible à tous. La première consultation intégrant les bilans médicaux, physiques et motivationnels préalables à la prescription de l’Activité Physique Adaptée (APA) doit être remboursée par l’Assurance maladie et sa généralisation doit s’appuyer sur les maisons sport-santé (MSS) qui doivent devenir le « guichet unique » dans tous les territoires.

À ce propos, on en est-on du dispositif législatif du « sport sur ordonnance » ? 

La prescription d’activité physique pour les patient atteints d’une affection de longue durée (ALD) par un médecin traitant est effective depuis maintenant six ans. 

La loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 a introduit, en son article 51, un dispositif permettant d’expérimenter, pendant cinq ans de nouvelles organisations en santé reposant sur des modes de financement dérogatoires aux règles de tarification de droit commun. 

Une trentaine d’expérimentations sont en cours avec une prise en charge de l’APA dans le cadre du traitement avec une procédure d’évaluation afin d’en connaître l’impact avant élargissement à d’autres territoires.

Le dispositif « Retrouve ton cap » de prise en charge de l’obésité infantile de trois à huit ans expérimenté dans les Hauts-de-France a fait l’objet d’une généralisation au niveau national en début d’année 2022 avec à la clé un financement de 32 millions d’euros et son élargissement jusqu’à douze ans. C’est une excellente décision des pouvoirs publics en termes de santé publique, à reproduire le plus largement possible pour les autres programmes à base d’APA.

La place de l’activité physique adaptée (APA) a été réaffirmée par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2020, dont l’article 59 prévoit la mise en place d’un parcours de soins global après le traitement d’un cancer comportant un bilan d’APA et la prise en charge d’un forfait de 180 euros. Les séances d’APA ne sont hélas pas financées dans le cadre de ce parcours dont le montant forfaitaire est jugé par de nombreux spécialistes trop faible.

Enfin, l’article 71 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2021 autorise à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le financement par le Fonds d’intervention régional (FIR) d’un parcours pour les personnes souffrant d’une complication du diabète de type 2.

Près de trois ans après, le décret d’application n’est toujours pas paru afin de préciser les conditions d’application : régions concernées par l’expérimentation et contenu du bilan d’activité physique, bilan et consultations de suivi nutritionnel et psychologique…

Et la loi du 2 mars 2022 sur la démocratisation du sport qu’a t elle apporté ?

Il y a eu des avancées importantes à l’occasion du vote de la loi du 2 mars 2022 sur la démocratisation du sport, avec l’élargissement de la prescription de l’APA aux patients atteints d’une maladie chronique ou présentant des facteurs de risques (surpoids, obésité, hypertension artérielle, dénutrition, sédentarité, dyslipidémies et conduites addictives), ainsi que les personnes en situation de perte d’autonomie dues au handicap ou au vieillissement (bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie, de l’aide à domicile…).

Cela va dire que plus de 20 millions de personnes sont aujourd’hui « éligibles » à la prescription d’activité physique adaptée.

La loi élargit également la possibilité de prescription d’APA au-delà des seuls médecins traitants à tous les médecins qui participent « à la prise en charge de ces patients » : médecins spécialistes, du travail, scolaire, des services de santé universitaire, gérontologue…

Chaque établissement social et médico-social (EHPAD, CAT, CADA, FJT…) est tenu de désigner un référent « activité physique et sportive » chargé de l’information sur l’offre proposée dans l’environnement de la structure et de proposer le cas échéant aux personnes accompagnées un plan personnalisé.

Enfin, la loi du 2 mars 2022 apporte une reconnaissance législative aux Maisons Sport Santé chargées d’assurer les missions d’accueil, d’information, d’orientation du public concerné par la prescription d’APA, de mise en réseau et de formation des professionnels de santé, du social, du sport et de l’activité physique adaptée.

Qu’attendez-vous du nouveau ministre de la Santé Aurélien Rousseau ? 

Clairement, il faut un acte 2 de la prescription des activités physiques adaptées qui se traduisent dès le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) 2024 qui sera discuté et voté au Parlement cet automne.

L’article 51 arrive à échéance en fin d’année et il faudra lui donner une suite législative d’une façon ou d’une autre…

Des annonces communes entre le ministère des Sports -qui a toujours été en pointe sur l’activité physique adaptée- et celui de la Santé sont prévues le 14 septembre prochain suite à la remise aux ministres François Braun et Amélie Oudéa-Castéra des propositions très ambitieuses du comité présidé par Dominique Delandre le 4 juillet dernier. Il faut espérer que le changement de titulaire au portefeuille du Ministère de la Santé et de la Prévention ne retarde pas ces annonces et les possibles avancées attendues.

Le ministre de la Santé doit aussi veiller à ce que l’application trop stricte des textes réglementaires publiés en application de la loi du 2 mars 2022 ne freine pas dans les faits le déploiement de la prescription d’activités physiques adaptées.

Le décret du 30 mars 2023 prévoit que le « médecin établit la prescription médicale initiale d’activité physique adaptée, notamment le type d’activité, sa durée, sa fréquence, son intensité sur un formulaire spécifique » ce qui suppose un degré de précision élevée que ne maîtrisent pas forcément tous les médecins susceptibles de prescrire.

En ce qui concerne le décret relatif à la désignation d’un référent dans les ESMS paru le 17 juillet 2023, il faudra s’assurer que ces personnels dans les établissements sociaux et médico-sociaux disposent bien du temps et de la formation nécessaire à leurs missions. Il serait utile que le travail en réseau de ces référents s’appuie sur l’expérience des enseignants APA-S et sur les moyens humains et financiers des départements dont le social et médico-social est la compétence… principale et que le décret ne mentionne pas.

Le cahier des charges défini par arrêté conjoint des ministres chargés de la Santé et des Sports le 25 avril 2023 sur les Maisons Sport-Santé est très contraignant sur les missions (accueil, information… mais aussi formation des professionnels du secteur de la santé et réalisation des bilans d’évaluation) et stricte sur le plan financier avec la nécessité d’un budget pluriannuel en équilibre. Le risque est de voir de nombreuses structures aujourd’hui labellisées perdre leur habilitation…avec à la clé un affaiblissement du maillage territorial des Maisons Sport-Santé.

On vous sent inquiet ?

Plusieurs freins importants bloquent le déploiement de l’APA à une large échelle pour toucher tous les bénéficiaires potentiels : le manque de formation des médecins – et plus largement des professionnels de santé et du médico-social – pour ces prescriptions, l’accessibilité et la mauvaise connaissance par les praticiens de l’offre APA de proximité et l’absence de prise en charge financière de la consultation médicale nécessaire pour réaliser le bilan médico-sportif et des séances d’APA.

Je formule plusieurs proposition dans mon ouvrage « Bougeons ! ».

Je propose d’impliquer progressivement l’Assurance maladie dans la prise en charge financière de l’APA, en commençant par le remboursement de la consultation médicale spécifique de prescription.

Il s’agit aussi d’encourager les mutuelles et complémentaires santé qui jouent le jeu de la prise en charge financière des séances d’APA.

Les cotisations émises par ces organismes sont, en effet, soumises à la taxe de solidarité additionnelle (TSA), régie par les dispositions de l’article L. 862-4 du code de la sécurité sociale, qui pourraient être modulées à la baisse pour les organismes s’engageant dans la prise en charge financières des séances d’APA.

Dans le domaine de la prévention et du soutien des acteurs qui portent les dispositifs d’activités physiques adaptées sur le terrain, les efforts financiers à travers les Fonds d’intervention régionaux à la « main » des directeurs d’Agence Régionale de Santé sont très variables d’une région à l’autre, ce qui pose un vrai problème d’égalité d’accès aux dispositifs sur le plan financier pour l’ensemble du territoire.

Pour pérenniser leur action et la développer, l’enjeu majeur sera de conforter les financements dans la durée des des Maisons Sport Santé dans le cadre de leur habilitation de cinq ans en envisageant les modalités de financement de la dépense de fonctionnement après celle d’investissement.

Il est aussi nécessaire de prévoir des ressources financières propres, provenant des taxes affectées sur les jeux d’argent et de hasard au financement du sport dans le cadre d’un Fonds Héritage Paris 2024, pour un fléchage uniforme de crédits consacrés au soutien des actions menées par les acteurs régionaux Sport-Santé-Bien-Être sur l’ensemble des territoires sans passer par les fonds d’intervention régionaux facultatifs des ARS.

Un changement de doctrine salutaire de l’Assurance-Maladie ? 

La prescription et la dispensation de l’APA ne font pas l’objet d’une prise en charge par l’Assurance maladie, qui a pour principe de ne pas rembourser les déterminants ou activités ayant des externalités positives sur la santé (telles qu’alimentation, sécurité routière, logement, amélioration de la qualité de l’air…).

La « doctrine » de l’Assurance-Maladie et du ministère de la santé jusqu’à ce jour était plutôt de favoriser l’adhésion à la pratique d’une activité physique au long cours, en ciblant les financements sur les déterminants de cette pratique (entretiens motivationnels, responsabilisation, suivi et bilans réguliers) dans le cadre d’une démarche éducative pérenne tendant à la modification des habitudes de vie du patient (programmes d’Éducation thérapeutique du patient).

Dans son rapport 2024 sur l’évolution des charges et des produits pour améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses, l’Assurance-Maladie opère une « petite révolution » en proposant « d’ouvrir le remboursement, en lien avec les organismes complémentaires, de cycles de prestations d’activité physique adaptée (APA), visant à inciter une pratique au long cours, auprès de personnes atteintes de cancer ou de diabète sur prescription d’un médecin, lorsque leur état de santé le justifie. »

Mais la lecture du rapport dans son intégralité invite à la prudence sur la portée de ce « revirement » de doctrine sur la question de la prise en charge financière d’une partie des programmes d’APA en tant que thérapie non médicamenteuse.

Il est proposé de porter une mesure dans le cadre du PLFSS 2024 ouvrant la prise en charge par l’Assurance Maladie d’une prestation d’APA auprès de populations pour lesquelles l’APA a montré largement sa pertinence en termes de santé publique et son efficacité médico-économique. Elle propose d’engager cette prise en charge en ciblant sur les personnes atteintes de cancer ou de diabète. L’ouverture de cette prise en charge pourrait être étendue progressivement à d’autres populations mentionnées dans les recommandations de la Haute Autorité de la Santé de juillet 2022.

Or ces deux pathologies sont déjà ciblées dans des dispositifs existants votés dans les Lois de Financement de la Sécurité Sociale 2020 et 2021. L’Assurance-Maladie évoque « une première étape pour évaluer la pertinence d’une prise en charge financière en vie réelle » pour les patients atteints de ces deux pathologies.

Par ailleurs, l’Assurance-Maladie précise que la prise en charge sera partagée entre l’Assurance Maladie et l’Assurance complémentaire en santé s’agissant « d’enjeux de santé partagés pour lequel les organismes complementaires ont développé des offres auprès de leurs clients .

Les discussions avec les organismes complémentaires s’ouvriront courant 2023, pour définir au mieux le niveau de prise en charge AMO/AMC sur ces prestations novatrices d’accompagnement d’assurés malades vers la pratique d’une activité physique régulière autonome. »

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