Régis Juanico : « Les Jeux sont devenus un marqueur du calendrier politique. Croire qu’ils sont en suspension dans l’air à l’abri des controverses est une illusion. »

Député de la Loire pendant 15 ans Régis Juanico a occupé à l’Assemblée Nationale les fonctions de rapporteur spécial du budget des sports à la commission des finances et de co-président du groupe de travail sur les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.

Il ne s’est pas représenté aux dernières élections législatives. C’est un des meilleurs connaisseurs du sport en France et de ses institutions. Il a accepté de répondre à nos questions. Il publie cet été un livre sur la « Sédentarité, nouvelle addiction à la chaise » qui est un manifeste pour des modes de vies plus actifs.

Régis Juanico, quel regard portez-vous sur l’actualité de la gouvernance du sport depuis un an et en particulier sur les affaires dans le mouvement sportif ?

Le mouvement sportif doit retrouver très vite de la sérénité. Pour les acteurs de terrain, les bénévoles et les athlètes, le spectacle donné ces derniers mois est affligeant et déflagrateur du point de vue de l’exemplarité. La démission de Brigitte Henriques à la tête du CNOSF n’est que le énième épisode d’un feuilleton qui a touché les plus grandes fédérations en France. Il faut sortir le mouvement sportif français du marasme dans lequel il est englué et qui suscite des commentaires acerbes et inquiets des instances internationales, sans parler du fiasco de la gestion de la finale de la Ligue des Champions en mai 2022.

Sur les trois dossiers les plus médiatisés : les démissions de Noël Le Graet et de Bernard Laporte de la présidence des fédérations de football et de rugby, ainsi que la mise à l’écart de Claude Atcher du comité d’organisation de la Coupe du monde de rugby, je veux saluer le travail des journalistes sportifs et d’investigation qui ont permis que des informations sortent et déclenchent des inspections mais également souligner le rôle essentiel de la ministre Amélie Oudéa-Castéra qui a eu la main ferme ce qui n’a pas toujours été le cas d’autres ministres ces dernières années.

Les dysfonctionnements à répétition, les dérives dans la gouvernance de certaines fédérations sont le fruit d’une gestion erratique et défaillante de dirigeants installés dans la durée dans un sentiment de « toute-puissance », de l’absence de contrôle externe approfondi y compris sur le plan financier, d’une absence de débats contradictoires et de la faiblesse des contre-pouvoirs en interne. Ces dernières années, le renforcement de l’autonomie des fédérations sportives s’est accompagné d’un relâchement de leur contrôle et de leur supervision par le ministère des sports.

C’est tout le travail de la mission Buffet Diagana qui devra tirer dès la rentrée et avant les Jeux toutes les conclusions des affaires en cours et réfléchir à de nouvelles propositions sur la gouvernance du sport.

Pour ma part, je plaide pour 3 évolutions :

  • La mise en place d’un comité d’éthique du sport indépendant avec à sa tête un déontologue du sport. 
  • Un meilleur contrôle des oppositions et un renforcement de leurs prérogatives dans les instances fédérales (par exemple, à l’Assemblée Nationale, le président de la commission des finances est issu du principal groupe de l’opposition)
  • Un contrôle de probité des dirigeants fédéraux identique à celui qui existe pour les élus politiques ou les membres du gouvernement avant qu’ils ne soient nommés

Qu’attendez-vous des jeux olympiques en 2024 ?

J’ai confiance dans la capacité du Comité d’Organisation de réussir « techniquement » les Jeux et d’en faire une belle fête populaire. Mais il ne faudrait pas sous-estimer ou écarter d’un « revers de la main » la portée politique et symbolique des Jeux, dans un contexte social tendu où les braises de la contestation contre la réforme des retraites sont encore incandescentes. 

Tous les sujets liés de près ou de loin à l’organisation des Jeux sont potentiellement inflammables comme on l’a vu récemment avec la question du déplacement des sans-abri de l’Ile-de-France vers les régions pour libérer des chambres d’hôtel ou bien les conditions d’organisation des festivals culturels à l’été 2024.

Ce que je constate, c’est que le calendrier politique qui est en principe rythmé par les élections intermédiaires ou générales est aujourd’hui indexé sur… les Jeux Olympiques. Quand on évoque un changement de Premier Ministre, on renvoie le sujet après les Jeux, quand on évoque la réforme de la police judiciaire ou l’ouverture des transports en commun d’Ile-de-France à la concurrence, on renvoie ça également après les Jeux…

Les jeux sont devenus le marqueur du calendrier politique. Croire qu’ils sont en suspension l’abri des contreverses est une illusion.

Hormis la ministre des Sports et des Jeux Olympiques dont c’est le boulot, je pense que les autres membres du gouvernement (Intérieur, travail, transport) doivent faire profil bas. Plus ils se mettront en scène et tenteront de « prendre la lumière » et plus le risque de provoquer des réactions hostiles et épidermiques et donc de transformer les Jeux en immense exutoire sera élevé.

On ne peut pas du côté de l’exécutif répéter à l’envi que les Jeux financent les Jeux, avec 96% des ressources provenant du privé -soulignant en creux la modestie de la contribution financière de l’Etat- et vouloir jouer les premiers rôles en cherchant l’exposition permanente, au risque d’une communication contreproductive.

Ceci vaut également au plus haut niveau de l’Etat pour le Président de la République. Pour moi, le vrai patron des jeux, c’est Tony Estanguet et c’est à lui d’être en première ligne avec bien sûr les élus des territoires les plus directement concernés : Paris, Seine-Saint-Denis et région Ile-de-France.

Et en terme d’héritage ?

Les Jeux, c’est grandiose, mais c’est éphémère. Ce qui va compter c’est la préparation de la suite, ce qu’on laisse en héritage sportif durable : les Jeux seront réussis si toute une nation se les approprie. 

Si on regarde les trois lois Olympiques votées depuis 2018, aucune ne parle vraiment d’héritage sportif. On a aussi perdu beaucoup de temps avec la loi visant à démocratiser le sport votée en toute fin du précédent quinquennat, en particulier avec des dispositions sur la parité dans les fédérations ou le vote d’une partie des clubs qui ne sont pas applicables avant 2024.

À ce stade, il manque une feuille de route sur l’héritage post-2024 avec quelques priorités et des moyens financiers à la hauteur. Le dernier document interministériel sur l’héritage date de 2019 et comporte 170 mesures…* ! 

Je rappelle qu’à mon initiative et avec l’accord des ministres Kanner et Braillard, un fonds « héritage sportif et territorial Paris 2024 » pérenne avait été voté par le Parlement dans le cadre du projet de loi de finances 2017, avec un prélèvement exceptionnel de 0,3% des mises de jeux de loterie. 

Ce fonds à hauteur de 25 M€ et qui devait augmenter à l’approche des Jeux était affecté au CNDS pour financer des équipements sportifs de proximité dans tous les territoires, les dispositifs « passerelles écoles/« clubs sportifs, le plan « J’apprends à nager » et les bonnes pratiques en matière de « Sport-santé-bien être ». Il a été supprimé en 2018. Une occasion manquée.

La question aujourd’hui est de savoir comment on déploie des politiques publiques sportives cohérentes visant à développer l’activité physique et qui touchent toutes les populations. Il faut passer d’une logique d’expérimentation, parfois de saupoudrage, à une logique de généralisation partout sur les territoires.

Je formule six propositions :

  • L’aménagement des cours de récréation pour favoriser les jeux mixtes et la motricité du bâti scolaire et des abords des écoles pour faciliter les mobilités actives à pied ou en vélo. 200 cours de récréation actives sont en cours de financement par Paris 2024 et l’ANS, c’est insuffisant par rapport aux 50000 écoles. Il faut un soutien financier de l’Etat à destination de l’ensemble des collectivités territoriales.
  • Revaloriser la fonction de l’EPS au collège et au lycée, en augmentant les heures d’enseignement en EPS et en généralisant les tests de condition physique accompagné d’un programme personnalisé à l’instar de celui mis en place fin 2022 par le professeur François Carré au nom du collectif « Pour une France en forme ». L’étude « Inversons les courbes » ** montre qu’il est possible pour les collégiens de 6e dans le cadre des séances d’EPS de retrouver un bon niveau de condition physique
  • Le développement de « campus actif » promoteur de santé dans l’enseignement supérieur : la lutte contre la sédentarité des étudiants doit devenir une priorité de santé publique avec une demi-journée réservée aux activités physiques et sportives dans leur emploi du temps
  • Le renforcement de l’activité physique en milieu professionnel qui doit devenir un objet de négociation entre partenaires sociaux dans le cadre des accords sur la qualité de vie au travail dans les entreprises et la fonction publique avec l’objectif de proposer au moins trente minutes d’activité physique quotidienne à tous les salariés ou fonctionnaires
  • Supprimer les freins à la prescription d’activité physique adaptée avec le remboursement par l’assurance-maladie de la consultation  médicale préalable à la prescription et une aide financière aux mutuelles qui remboursent les séances d’APA.
  • Faire du déploiement du design actif sur l’ensemble des territoires et en milieu professionnel un pilier de l’Héritage des Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024 avec la création d’un fonds de l’État dédié à l’accompagnement des collectivités territoriales et des employeurs.

*Mar.08 2023 A 2/3 du parcours, où en sont les 170 mesures de l’héritage de Paris 2024 annoncées en novembre 2019 ?

** Fév.07 2023 Sédentarité des collégiens, « il est possible d’inverser les courbes » avec 2 x 15 minutes par semaine pendant 6 semaines

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