Marco Sentein : Regards croisés d’un directeur des sports et président de district de foot sur l’avenir du sport
Fort d’une double expertise en tant que directeur des sports d’une collectivité territoriale et dirigeant du mouvement fédéral ( président district du football de la Haute Garonne), ancien président de l’ANDIISS et du FAFA Marco Sentein partage dans un entretien avec décideurs du sport sa vision sur la transformation du sport français et les défis structurels et financiers qui en découlent.
Q : Au regard de ta double casquette, comment perçois tu l’évolution générale de l’organisation et des enjeux du sport français au cours des trente dernières années ?
Marco Sentein – L’évolution majeure est le passage d’une logique où le sport fédéral était vraiment une priorité il y a 15, 20 ou 30 ans, à une sollicitation croissante des élus axée sur le sport non fédéral, comme le sport loisir et la pratique quotidienne. Les élus ont pris conscience, il y a environ une dizaine d’années, que la pratique sportive, qu’elle soit en club ou dans un espace public (courir en forêt, autour d’un lac, en urbain…), est perçue de la même manière par l’administré. Cette tendance a généré une pression importante des administrés pour faire équiper les territoires en appareils de fitness ou en aménagement urbains divers. Ce phénomène n’a épargné aucun territoire, qu’il soit urbain, périurbain, rural ou de montagne. Et, dans le même temps, les normes fédérales se sont renforcées ; parfois, elles ont irrité les élus et les gestionnaires d’équipements, au point de compliquer la relation.
Comment le mouvement fédéral a-t-il réagi face à cette montée en puissance des pratiques non compétitives ou de loisir ?
Marco Sentein -Face à ce phénomène, les fédérations ont réagi en développant des « nouvelles pratiques » comme l’athlétisme depuis longtemps avec les différentes pratiques de courses, le foot et toute ses déclinaisons y compris en marchant ou le 3×3 au basket, Padel aujourd’hui au tennis pour récupérer des licenciés. L’objectif principal des fédérations est quantitatif, car la reconnaissance et l’aide de l’État passent par le nombre de licences. Cependant, le constat est qu’il faudrait aujourd’hui privilégier le qualitatif plutôt que le quantitatif. En tant que président du district du foot de la haute garonne, si j’ai 2000 licenciés en moins sur mes 45000 et si c’est ceux qui créent des problèmes ça ne me dérange pas !
Le modèle associatif traditionnel est-il toujours adapté à ces nouvelles pratiques aujourd’hui ?
Marco Sentein -Non, le modèle associatif souffre car il est resté figé, alors que la société a évolué vers une « surconsommation du sport » et une demande de prestation de services de qualité. Le licencié d’aujourd’hui vient consommer, souvent sur des périodes courtes ou « one shot », et ne prend pas forcément l’adhésion pour toute l’année. Le modèle est resté dans la logique de la licence peu chère (90 à 180€) où tout est inclus, ce qui ne permet plus de faire face aux besoins financiers de fonctionnement . Les clubs sont aujourd’hui en souffrance financièrement et manquent de bénévoles sur la durée et le « turnover » est important. Ma conviction est que l’avenir du mouvement sportif repose sur un équilibre entre le maintien de la force du bénévolat et une professionnalisation accrue des structures
Quelle solution financière proposes-tu pour garantir la viabilité des clubs sportifs, notamment dans le football ?
Marco Sentein -Il est nécessaire de faire payer le service comme le fait la culture depuis très longtemps. Il ne faut pas avoir peur de fixer des licences à 200, 300 ou 400 euros. Pour cela, il faut stratégiquement différencier la licence adhésion (par exemple 180 €) de l’équipement (par exemple 120 € pour la tenue complète), permettant ainsi au club d’augmenter ses recettes . Ces recettes additionnelles peuvent servir au fonctionnement et/ou au financement d’un salarié, qui assurera un service de qualité. Les clubs doivent se professionnaliser sachant qu’ils seront de plus en plus important en nombre de licenciés. L’aide pour les familles ayant peu de moyens devrait être portée par l’État et les collectivités, et non par l’association seule.
Et dans ce contexte quel est le rôle d’une fédération. Quel est l’impact concret de la politique fédérale sur les clubs locaux ?
Marco Sentein -Les fédérations sont suradministrées ; par exemple, la fédération de football a augmenté ses postes (+50 sur les trois dernières années). Les nouvelles recrues génèrent des projets et des contraintes, qui sont ensuite répercutés vers les ligues, les districts, et finalement les clubs. Le phénomène s’est accéléré avec les PSF : une part significative des enveloppes ne descendrait pas jusqu’aux clubs, tandis que la complexité des dossiers augmente. Au final, on transfère de la contrainte sur des clubs qui n’ont ni le temps ni l’expertise pour monter des dossiers et capter les financements.
Dans ce contexte, le rôle des échelons de proximité est central. Les districts, comités départementaux et ligues sont les seuls à réellement connaître les clubs, leurs fragilités, leurs dynamiques et leurs capacités de transformation. Ce sont eux qui peuvent accompagner efficacement la professionnalisation, aider à structurer les projets, prioriser les besoins et exercer un contrôle de proximité sur l’utilisation des moyens. À l’inverse, une gouvernance trop centralisée éloigne la décision du terrain et accentue le décalage entre les dispositifs nationaux et les réalités locales.
Tu as un exemple concret ?
Marco Sentein – Oui au niveau du district lorsqu’un club envisage une fusion, une montée en gamme sportive ou la création d’un emploi. Dans ces situations, un diagnostic est conduit directement avec les dirigeants bénévoles pour définir un projet sportif à cinq ans : niveau de pratique visé, structuration des équipes de jeunes et féminines, organisation administrative et capacité à absorber de nouvelles contraintes fédérales. Ce travail de projection est indispensable avant toute décision de professionnalisation ou de soutien financier.
Cette approche de proximité permet de sécuriser les trajectoires des clubs, d’adapter les exigences nationales à la réalité locale et d’éviter des impasses organisationnelles. Elle illustre ce que ne peut pas faire une gouvernance trop centralisée : accompagner finement les clubs, au cas par cas, plutôt que leur imposer des dispositifs standardisés, déconnectés de leurs moyens réels.
Concernant les collectivités territoriales, quelle est selon toi la priorité pour les prochaines années en matière de politique sportive ?
Marco Sentein – La priorité est l’ optimisation à 200 % du parc d’équipement sportifs. Contrairement à l’idée reçue, nous avons aujourd’hui assez d’équipements (terrains et gymnases) pour répondre à la demande, même s’il faut réhabiliter ceux des années 60, 70 et 80. Il faut avoir le courage d’ouvrir les équipements, y compris ceux des collèges et lycées, avec une amplitude beaucoup plus importante, car ceux qui gagneront sur le prochain mandat ce sont les élus qui feront cet effort d’organisation. Dans ce contexte, le rôle des clubs évolue : ils ne sont plus seulement des organisateurs de compétitions, mais des opérateurs de pratique et de service, capables d’animer des créneaux, d’accueillir de nouveaux publics et de contribuer à la régulation des usages. Cela suppose une relation collectivités–clubs plus “contractualisée” et équilibrée : moins de logique automatique de subvention et plus d’engagements réciproques (ouverture, créneaux, comportements, actions d’intérêt général), avec un pilotage et un contrôle de proximité.
Dans la lignée de la professionnalisation des clubs, comment l’intercommunalité peut-elle servir de levier de structuration ?
Marco Sentein -Les structures associatives sont naturellement amenées à devenir de plus en plus grandes, notamment en nombre de licenciés, à cause du manque de bénévoles et des contraintes réglementaires. L’intercommunalité peut être une solution, et le mouvement de fusion des clubs (par exemple, un club de 870 licenciés sur cinq communes au nord de Toulouse) force les élus à se poser la question du caractère communautaire des équipements. Si un club draine toute l’agglomération, il est normal que la charge financière des subventions soit portée par l’Interco, et non plus par les villes.
Pour conclure, si tu devais définir un nouveau modèle pour le sport associatif français ?
Marco Sentein -Le sport doit s’appuyer sur deux piliers : le bénévolat et la professionnalisation. Il faut garder la force du côté associatif bénévole, qui est unique à tous les autres pays. Cependant, pour éviter que les structures associatives n’explosent en vol, il est nécessaire de rendre le modèle plus structuré et professionnel. Cela pourrait signifier qu’à partir d’un certain seuil de licenciés (par exemple 300), les parties administratives et sportives doivent être obligatoirement professionnalisées, tout en gardant une proximité. Pour ce faire, il est important d’avoir un contrôle décentralisé des moyens alloués aux structures.
Le district a testé les cameras embarquées pour les arbitres Quels sont les premiers retours ?
Marco Sentein –
Plusieurs dispositifs ont été testé directement sur le terrain, avec des effets très concrets.
Le premier concerne l’usage de caméras embarquées sur les arbitres, dans le cadre d’un règlement fédéral. Dès leur mise en place, les comportements évoluent : le ton se modère, les attitudes se calment, aussi bien chez les joueurs que chez les encadrants et les spectateurs. Les arbitres, notamment les plus jeunes, expliquent qu’ils se sentent plus protégés et mentalement plus sereins pendant le match, au point d’oublier rapidement la présence de la caméra tout en conservant un sentiment de sécurité.
Le second dispositif repose sur un protocole partenarial associant le district, les maires et l’État, via un procureur référent sport. Il est activé en cas d’incident grave – bagarre générale, propos racistes, dégradations de vestiaires. Concrètement, le maire de la commune du club fautif et celui du club victime sont informés. Cette démarche, volontairement assumée comme “radicale”, produit des effets immédiats : les élus découvrent souvent des situations dont ils n’avaient pas connaissance, les clubs se sentent soutenus lorsqu’ils sont dépassés par certains comportements, et des solutions opérationnelles sont trouvées rapidement, qu’il s’agisse de médiation, de réparations, de sanctions ou d’un accompagnement renforcé.


