Laïcité dans le sport : une loi aux zones d’ombre, qui menace l’unité du mouvement sportif ? Patrick Bayeux
La proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport suscite un tel débat que le premier ministre a été obligé de trancher et d’affirmer que le gouvernement se rangeait derrière la version issue du vote du Sénat.
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Problème cette PPL telle que votée par le Sénat pose plus de problèmes qu’elle n’en règle, sur le fond et sur la forme.
Seules les fédérations délégataires sont visées
Alors que le texte initial visait les « fédérations sportives et les associations affiliées » le texte issu du vote du Sénat ne concerne que les fédérations délégataires pour « les compétitions départementales, régionales et nationales organisées par les fédérations sportives délégataires, leurs organes déconcentrés, leurs ligues professionnelles et leurs associations affiliées » Pour ces compétitions « le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse est interdit aux acteurs de ces compétitions »
- Question : cette mesure est-elle de nature à inciter les personnes qui souhaitent affirmer leur appartenance religieuse à se tourner vers les fédérations multisports, affinitaires non délégataires (qui représentent un tiers des licenciés) , des fédérations agréées qui participent « à l’exécution d’une mission de service public » selon l’article l’ Article L131-8 du code du sport. Il convient de rappeler que toutes les fédérations doivent signer le contrat d’engagement républicain.
- Question : la disposition votée au sénat ne vise que les compétitions officielles . Qu’en est-il des compétitions amicales ? des entrainements ?
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Les collectivités en première ligne pour la mise à disposition des équipements sportifs
« La collectivité territoriale propriétaire d’un équipement sportif détermine les conditions d’utilisation de cet équipement et des locaux attenants. Leur utilisation pour la pratique sportive exclut tout usage pour l’exercice d’un culte. » Le texte fait référence à l’exercice d’un culte et pas au « port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique ou religieuse ». De plus précise la PPL, « cette disposition ne fait pas obstacle à ce qu’un équipement sportif soit mis temporairement à la disposition d’une association qui souhaite l’utiliser à des fins cultuelles, à condition que ladite mise à disposition ne soit pas effectuée dans des conditions préférentielles. » Donc le texte exclut toute utilisation d’un équipement sportif pour l’exercice d’un culte sauf pour « une association qui souhaite l’utiliser à des fins cultuelles ». L’article 2 de la PPL nécessite quelques clarifications !
Une exception ? les piscines
Selon l’article 3 concernant les piscines « Le règlement d’utilisation d’une piscine ou d’une baignade artificielle publique à usage collectif garantit le respect des principes de neutralité du service public et de laïcité. Il assure l’égalité de traitement des usagers. Il ne peut pas prévoir d’adaptation susceptible de nuire au bon fonctionnement du service ou de porter atteinte à l’ordre public. Il prohibe notamment le port de signes ou de tenues susceptibles d’y contrevenir. »
Tel que rédigé le règlement prohibe notamment le port de signes ou de tenues susceptibles de contrevenir à l’ordre public et donc le port des signes ou tenues religieuses seraient autorisées si celles-ci ne contreviennent pas à l’ordre du public. C’est bien ainsi que semble devoir être interprété cet article 3, son « y contrevenir » se rapportant au bon fonctionnement du service public et à l’ordre public de la phrase précédente plus qu’au principe de neutralité et de laïcité de la première phrase. A préciser néanmoins.
Le sujet sera t-il mis au débat de l’élection à la présidence du CNOSF ?
Cette proposition de loi sur la laïcité dans le sport illustre un conflit latent entre 2 visions de la société. En ciblant uniquement les compétitions des fédérations délégataires, la PPL laisse en suspens la question des entraînements et risque de détourner certains pratiquants vers les fédérations non délégataires. Par ailleurs, les collectivités se retrouvent en première ligne, devant gérer des situations parfois ambiguës concernant l’utilisation de leurs équipements. Au final, entre volonté d’affirmer les principes républicains et crainte de stigmatisation, cette loi soulève plus d’interrogations qu’elle n’apporte de réponses claires et mettra le mouvement sportif ainsi que les élus locaux en difficulté. Et qu’en pense le mouvement sportif ? Le sujet sera t-il mis au débat de l’élection à la présidence du CNOSF ?
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