Gouvernance du sport : « Un rendez-vous manqué, mais pas une cause perdue » Entretien avec Jean-Paul Omeyer
Architecte déterminé de la nouvelle gouvernance du sport dès 2017, Jean-Paul Omeyer livre un regard lucide sur une ambition collective qui s’est heurtée à ses propres contradictions. L’ncien VP en charge du sport région Grand Est, ancien président du groupe sport de l’ARF, vice- président fondateur de l’ANS, SG du CROS Grand Est et fin connaisseur des rouages institutionnels, considère qu’un nouvel élan pourrait venir du mouvement sportif.
Jean-Paul, tu as été l’un des initiateurs de la réflexion sur une nouvelle gouvernance du sport, c’était au salon des Maires en 2017. Avec le recul, quels enseignements retiens-tu de cette séquence, tant sur la méthode que sur les résultats ?
Avec la création de l’ANS et des CRdS dans les territoires, on a tenté quelque chose de nouveau en France : faire dialoguer, dans une même structure, l’État, le mouvement sportif, les collectivités et le monde économique. C’était ambitieux, et même un peu risqué, mais la démarche était saine.
La non association des parlementaires aux réflexions a créé un climat un peu compliqué autour des travaux sur la gouvernance, et une auto saisine des assemblées plus en réaction qu’en apport positif
Cette ambition a été vécue initialement comme une incroyable opportunité de faire évoluer positivement le sport, sa reconnaissance publique et sa gouvernance.
Aujourd’hui on peut parler de rendez-vous râté, malheureusement, et ce pour diverses raisons dont la principale me semble être que chacun des collèges n’a pas su ou pu occuper véritablement la place qu’il revendiquait pourtant de longue date: les collectivités de part le fait qu’elles sont le principal financeur du sport, le mouvement sportif peut-être de crainte de devenir maitre d’ouvrage et le monde économique qui craignait d’être interpellé à travers de nouvelles taxes, les services de l’état craignant pour leur part une certaine perte de pouvoir
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Plusieurs promesses portées au moment du lancement – clarification des compétences, territorialisation, co-construction – ne se sont pas concrétisées sur les territoires. À ton avis, quels sont les principaux points de blocage ou de dysfonctionnement ?
La gouvernance devait reposer sur deux piliers, le pilier de la haute performance et donc de la représentativité de la France à travers les JO, les compétitions internationales et ce pilier fût plutôt une réussite même si sa mise en place à marche forcée a créé quelques remous
Le deuxième pilier celui de la territorialisation et donc du sport pour tous dans toutes ces formes, est quant à lui plutôt un échec dû à plusieurs facteurs selon moi.
Très vite on s’est dirigé plus vers une territorialisation de l’ANS plus que de la gouvernance.
Clairement les collectivités mais aussi le mouvement sportif n’ont pas su saisir la balle au bond, et le décret du 20/10/2020 notamment par la composition des CRDS et les conférences des financeurs régionales a créé les conditions nécessaires et suffisantes de l’échec prévisible avec une composition pléthorique et le mouvement sportif est sous-représenté. Initialement le collège des collectivités, à l’instar de l’état pour le premier pilier, aurait dû avoir 60 % des voix En outre le périmètre régional des conférences de financeurs est une source de blocage et l’article R 122-44 est inapplicable la CRDS ne disposant pas de budget propre
Impossible de coordonner à un échelon régional une politique régionale avec jusqu’à 10 politiques départementales différentes et une politique nationale dépourvue des moyens nécessaires.
Concernant la clarification des compétences cela reste pour moi un point de réflexion non aboutie : attribuer la compétence sport aux EPCI et régions comme évoqué à un moment me semble toujours périlleux pour les plus petites collectivités (près de 90 % des communes du Grand Est ont moins de 2000 habitants) et les petites structures associatives, indispensables à leur territoire, mais qui sans des aides de tous les partenaires ne pourraient plus survivre.
La compétence étant partagée et optionnelle l’identification de compétence affectée se ferait sans transfert de moyens d’une strate à l’autre.
Tu évoquais récemment, notamment lors d’un débat à Nancy sur des assises du sport, une forme de désengagement ou de confusion de la part représentants de collectivités dans cette nouvelle gouvernance. Quelle responsabilité portent-elles dans l’échec partiel du déploiement territorial de la gouvernance ?
La réponse dans la question précédente. Le niveau régional devait se concentrer sur une approche stratégique et sur les réflexions autour de l’évolution des pratiques et des besoins: sport de haut niveau, sport pro, sport pour tous, sport santé, sport de nature, pratiques commerciales
Les conférences des financeurs devaient s’organiser au niveau des départements notamment plus ruraux et des métropoles et agglomérations dont l’impact en termes de financement du sport est premier. Cela donnait de la cohérence aux débats et évitait les blocages chacun restant maître de ses décisions, mais dans le cadre d’une réflexion partagée.
Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint et avec une recentralisation visible de l’action de l’État (retour du préfet comme coordonnateur), quelles pistes ou évolutions proposerais tu pour redonner un souffle à l’organisation du sport en France ? Faut-il persévérer ou changer de cap ?
Malheureusement force est de constater l’échec de la politique de recentrage des ressources au détriment des collectivités bientôt exsangues et sans ressources, alors qu’elles se doivent, contrairement à l’état, d’avoir des budgets équilibrés. Et les annonces récentes pourraient se traduire clairement par une mise sous tutelle des collectivités locales dans un cadre rigide et commun à tous sans tenir compte des contextes et spécificités territoriales. Demain voterons nous pour un préfet ou un maire ?
Je répète ce que j’ai souvent dit et redit : il y a des exemples de travail en commun et de financement partagé qui marchent bien depuis des décennies entre État, collectivités locales et territoriales et partenaires de la société civile, ce sont les contrats de territoires ou conventions de massif. La réponse n’est pas dans la défiance des uns et des autres mais dans la confiance et le respect mutuel
En conclusion, soyons lucides : malgré les avancées de ces dernières années, la gouvernance du sport en France reste à mi-chemin. Le projet initial porté par l’ANS reposait sur une idée forte, celle d’un pilotage partagé, d’une intelligence collective au service du terrain. Mais dans les faits, les responsabilités restent floues, les énergies se dispersent, et les effets d’annonce prennent trop souvent le pas sur les logiques de résultats. On a voulu décloisonner, mais on a parfois surtout multiplié les couches.
Il me semble qu’il faut revenir à l’ambition de départ dans le respect des travaux initiaux sur la gouvernance en identifiant peut-être des chefs de filat par pratique ou niveau de pratique.
Dans le contexte actuel d’ou peut venir l’impulsion ?
Un nouvel élan pourrait venir du mouvement sportif lui-même. Le CNOSF, dans sa recomposition actuelle, pourrait jouer un rôle plus structurant. Adossé à ses structures déconcentrées (les CROS, CDOS et CTOS) il peut devenir ce maillon manquant entre les ambitions nationales et les réalités locales. Ces acteurs sont sur le terrain, au contact quotidien des clubs, des élus, des éducateurs. Ils peuvent identifier les blocages, faire remonter les besoins, et surtout, être des catalyseurs de solutions concrètes. Si le CNOSF, avec ses relais territoriaux, assume pleinement cette fonction d’animation et d’interface entre l’État, les collectivités et les acteurs de terrain, alors nous aurons là un levier crédible pour rebâtir une gouvernance à la fois plus efficace, plus réactive et plus proche des pratiquants.