Des états généraux pour une refondation du mouvement sportif s’imposent en urgence. Patrick Bayeux
Il y a 10 ans le mouvement sportif dans son projet pour le sport français et pour le CNOSF formulait une ambition : « passer d’une nation de sportifs à une nation sportive » . Une clé : « rénover le modèle sportif Français », un rêve, » déposer une candidature pour l’organisation des jeux », « le meilleur moyen de fédérer toutes les énergies et de les mettre au service de ce projet. »
10 ans après le mouvement sportif français est en pleine crise.
Alors qu’à moins de 400 jours des jeux olympiques, toutes les énergies devraient être mobilisées pour faire de cet évènement historique une grande fête nationale et surtout un tremplin pour « Faire du sport un élément central d’un projet de société » c’est la débandade.
C’est la débandade. À qui la faute ?
- Est-ce un problème d’institution, de gouvernance, de statut ?
- Est-ce un problème de personnes, de générations, est-ce la fin d’un système dans lequel « il n’est plus possible de régler les problèmes en interne »,
- Est-ce la « caisse raisonnante » des jeux qui a fait que les médias ont commencé à mettre leur nez dans les affaires et les archives du sport Français ?
Un peu tout ça sans doute, mais cette crise profonde était pourtant prévisible.
Cette crise profonde était pourtant prévisible.
Il y a un peu plus de 3 ans (le 12 mai 2020) précisément, j’écrivais cet article « quel sport en 2030 ? 2 scénarios post covid 2019. Je posais 2 scénarios en sortie de crise Covid :
- celui l’implosion explosion
- celui de la raison
« C’est la capacité des acteurs à s’organiser pendant cette période cruciale qui déterminera les scénarios de sortie de crise. » Je concluais : « Les acteurs du sport sont-ils capables de se mobiliser pour se réinventer. A eux de choisir leur scénario ».
6 mois après le 10 novembre 2020, je faisais le constat de l’explosion du modèle sportif français Du déconfinement au reconfinement : les 6 mois qui ont marqué l’explosion du modèle sportif français
- un ministère des Sports à la ramasse « Nous craignons que le Ministère se contente d’un rôle de super-technicien : un peu juste pour faire face aux éléments et tenter de les dominer… un jour. »
- Je fustigeais un appel aux dons (l’opération « Soutiens ton club ».) « la supplique du mouvement sportif ».
- Quant à la gouvernance du sport, je dénonçais des collectivités territoriales « Incapable de tenir une position commune, souhaitant que chaque niveau de collectivités territoriales ait une place d’honneur au sein de la conférence régionale du sport et au sein de la conférence des financeurs » et un CNDS territorial bis avec 10 fois moins de moyens qui coûtera 10 fois plus cher
Je m’interrogeais « Les acteurs du sport peuvent-ils se rassembler en vue de 2024 pour pouvoir encore croire dans un modèle sportif, porter une vision commune, faire du sport un bien commun ? »
En mai 2021 je faisais le constat que « La crise a mis en exergue les faiblesses du modèle sportif français et a accéléré les tendances. Une approche générationnelle (babyboomers, génération X Y Z et alpha) est indispensable et permet d’anticiper les effets de la crise sur la reprise dans les clubs. Le centre de gravité du club devra bouger pour donner naissance à un club hybride entre le club barcecue et le club « service / garderie » . (Mai. 04, 2021 Clubs sportifs : quelle reprise aprés la crise ? une approche générationnelle s’impose)
Depuis le mouvement sportif s’enfonce faute de vision, son navire amiral a fini par couler et … tout ceci était prévisible.( Sep.16.2022 7:00 Faute de cap le CNOSF tourne en rond s’enfonce et prend l’eau )
Incapable de porter une vision commune, le sport français s’est fragmenté et le CNOSF a coulé
Incapable de porter une vision commune, le sport français s’est fragmenté pour laisser place à une organisation de plus en plus éclatée, dénuée de vision, de repères stables et de représentations communes. Et, pourtant l’ANS a été créée pour porter cette vision commune pour faire du sport un enjeu sociétal, un service public un bien commun (cf schéma ci dessous issu du rapport nouvelle gouvernance). C’est raté.
Coté CNOSF, prémonitoire toujours dans cet article dans lequel j’écrivais « Toute cette période de tâtonnement va-t-elle maintenant prendre fin ? Nous sommes convaincus que le CNOSF doit se repenser dans cette nouvelle gouvernance., mais aussi accompagner les fédérations pour penser le sport dans un monde qui a profondément changé. Est-ce encore possible ? est-ce déjà trop tard ? le CNOSF a son destin en main pour retrouver une boussole à moins de 2 ans des jeux . » la suite on la connait …
Sur les territoires, les CROS et CDOS constatent les dégâts de la crise nationale. Privés de moyens, ils ne peuvent agir. Je rappelle que j’étais contre le transfert de l’ex part territoriale du CNDS aux fédérations. Dans mon esprit l’ex part territoriale du CNDS revenait au mouvement sportif sur les territoires. Aujourd’hui sur les territoires, les CROS et CDOS n’ont plus aucun levier pour agir, ce qui pose désormais la question de leur plus-value.
Le sport français face à la crise des corps intermédiaires
Le sport français vit sa crise des corps intermédiaires : fédérations, mouvement sportif, CNOSF, …
Sur les affaires dans les fédérations, si on avait, comme c’était préconisé dans le rapport nouvelle gouvernance du sport mis en place « un contrôle de l’éthique des fédérations par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), ou encore leur notation externe par des agences indépendantes ainsi que le préconise le Conseil de l’Europe, pour constituer les fondements d’un nouvel équilibre constitutif d’une opportunité, autant que d’un défi. « les choses auraient peut-être été différentes …
Sur les clubs, la période 2020 2024 aurait du être une opportunité historique pour repenser leur place dans un modèle en pleine transformation. La ministre l’a compris pour ce qui relève de son périmètre, elle qui a indiqué dès juillet 2023 la nécessité de « réinventer » les missions de la direction des sports du ministère. • Juil.18 2022 8:20 La feuille de route du Sport Français se dessine
L’ANS faute d’avoir comme ambition de porter une vision et de mettre en relation l’ensemble des acteurs et des corps intermédiaires, est aujourd’hui cantonnée à être le bras armé du ministère des sports.
De son côté, le CNOSF s’est affaibli. Rongé par les crises, incapable de penser sa refondation au regard des évolutions sociales et de la nouvelle gouvernance, il a laissé la place vide. A quoi sert le CNOSF aujourd’hui ? Au niveau national, les fédérations ont-elles encore besoin du CNOSF, elles qui traitent aujourd’hui en direct avec le ministère des sports d’une part et d’autre part avec l’ANS.
Dans cette décomposition progressive, chacun y a trouvé son compte. … jusqu’aux affaires qui ont sorti le sport de son entre soit, de sa torpeur préolympique.
Des ministres peu médiatiques, un CNOSF qui tourne en rond, un COJO qui s’affaire , une agence qui administre pour le compte du ministère, … La nomination de AOC comme ministre des sports et des JOP a totalement changé la donne.
Aujourd’hui c’est la ministre des Sports qui porte seule la vision du sport Français.
Présente sur tous les sujets, investie d’une mission, elle incarne l’autorité de l’Etat, elle porte sa vision, se retrouve à jouer le rôle de déontologue du sport et quelque part (malgré elle ? ) prendre une posture de moralisatrice.
Victime de ses succès et en l’absence de structure indépendante de contrôle de l’éthique et de la transparence, elle est aujourd’hui interpellée dans les médias y compris sur des sujets internes comme c’est le cas pour la FF Judo dont un collectif n’a pas hésité à la saisir directement, les maires de Bordeaux et d’Annecy également pour des affaires totalement interne aux instances sportives.
Son appétence à vouloir régler rapidement tous les problèmes comme celui de cet enfant sourd qui ne trouvait pas de club de basket, ou sa promesse faite au petit Kenzo de vivre un moment « magnifique », l’an prochain, durant les JOP de donner son avis sur le cas MBappé … la positionne comme la figure du proue du sport français quitte à court-circuiter les « corps intermédiaires ».
Cette concentration des pouvoirs et des fonctions ne fait qu’accentuer la crise de représentativité que connait le sport Français. Une gouvernance partagée à responsabilité répartie … était la promesse de la nouvelle gouvernance du sport. Aujourd’hui, non seulement les responsabilités ne sont pas réparties mais en plus la gouvernance n’est pas partagée en raison de la faiblesse des corps intermédiaires.
La refondation du mouvement sportif est urgente
Les défis sont nombreux (fédérations de licenciés ou de pratiquants, renouvellement générationnel, modèle économique, représentativité, engagement bénévoles, ….) nous les détaillerons dans un autre article, mais la première chose que devra faire le / la future président du CNOSF est bien d’engager et très rapidement des états généraux du mouvement sportif.
Certes pour le CIO la priorité ce sont les jeux, pour le CNOSF c’est la pérennisation des financements, mais pour le mouvement sportif, c’est la place du club.
Est-ce que la nouvelle présidence du CNOSF saura jouer cette valse à 3 temps ?
Le slogan de la candidature à Paris 2024 était « la force d’un rêve ». Là on est plutôt dans une phase cauchemardesque pour le sport français. « Les cauchemars, c’est ce que les rêves deviennent toujours en vieillissant. » Romain Gary. Il est temps de se réveiller.