« Contrôle antidopage : l’analyse des cheveux, la solution d’avenir ?  » par Pascal Kintz 

L’AMA vient de mettre à jour les produits et substances interdites à compter du 1er janvier 2024. Pascal Kintz, professeur conventionné de l’Université de Strasbourg , docteur en pharmacie,  expert en médecine légale et également président de X-Pertise Consulting a répondu à nos questions. Pascal Kintz a développé une expertise dans l’analyse des cheveux, des poils, des ongles, une méthode qui permet de mettre en évidence des pratiques de dopage, des situations de trafic de substances classées comme vénéneuses, généralement des anabolisants ou encore d’infirmer des analyses urinaires contestées. En outre, l’analyse des cheveux autorise la différenciation entre un usage unique et une consommation régulière. Une méthode désormais reconnue par les Tribunaux en charge des affaires criminelles, mais pas dans le domaine sportif par l’AMA sauf pour des expertises judiciaires.

Pascal Kintz, vous êtes professeur conventionné, docteur en pharmacie,  expert en médecine légale et également président de X-Pertise Consulting, pouvez vous nous expliquer en quoi consistent vos recherches ?  

Depuis 1968 et les jeux olympiques d’hiver à Grenoble, le Comité international olympique (CIO) et la plupart des fédérations sportives internationales sont concernés par le problème du dopage.

Dès le début des contrôles, l’urine a été choisie comme milieu d’investigation. Cette approche, utilisée comme règle de nos jours, permet d’obtenir des informations sur 48 ou 72 heures, parfois plus, comme pour le cannabis ou les anabolisants présentant des métabolites d’élimination longue ou sous forme estérifiée. C’est aussi le cas pour quelques molécules avec des demi-vie d’élimination longues, comme certains modulateurs sélectifs des récepteurs androgènes (SARMs) comme l’ostarine ou le ligandrol, ou encore le dorzolamide, un diurétique.

La recherche des hormones (érythropoïétine et dérivés, hormone de croissance et analogues, insuline) se pratique essentiellement dans le sang.

A la fin des années 70, date des premiers travaux américains et allemands, la fenêtre de détection standard de quelques jours a été complètement modifiée par l’introduction du cheveu dans l’arsenal analytique de la toxicologie judiciaire et la lutte contre les addictions. Cette matrice possède la propriété unique d’être le marqueur historique d’une exposition unique ou répétée. C’est un milieu cumulatif par opposition à l’urine, milieu incrémental.

Les cheveux en croissance (environ 85% de la quantité totale) incorporent les substances présentes dans le sang et la sueur et peuvent ainsi représenter le calendrier rétrospectif de la consommation chronique d’un xénobiotique. En effet, les cheveux poussent d’environ 1 cm par mois et leur analyse centimètre par centimètre, de la racine (exposition la plus récente) vers la pointe des cheveux (exposition la plus ancienne dans le temps) permet de suivre l’évolution (diminution, augmentation, pas de variation) de la consommation mois après mois.

Les cheveux sont généralement prélevés en vertex postérieur. Une mèche de 50 à 80 cheveux (diamètre d’un crayon à papier) est suffisante (prélever, à titre conservatoire, une seconde mèche). Celle-ci doit être prélevée le plus près de la peau, coupée au ciseau (ne pas arracher) et orientée racine-extrémité au moyen d’une cordelette, fixée 1 cm au-dessus du niveau de la racine. La conservation est aisée; elle s’effectue en tube sec ou dans une enveloppe, à température ambiante.

Le recueil d’un deuxième échantillon identique de cheveux est toujours possible dans la semaine qui suit le prélèvement initial, alors que cela s’avère irréalisable avec les urines. Si les cheveux sont manquants (calvitie) ou qu’ils ne peuvent pas être prélevés pour cause religieuse ou de traitement cosmétique particulièrement agressif, des poils (axillaires, pubiens, de la poitrine, des jambes ou des bras) ou des ongles peuvent être utilisés. Chaque prélèvement a ses propres caractéristiques en terme de vitesse de pousse et de fenêtre de détection et il convient d’adapter l’interprétation en tenant compte de ces spécificités.

Sur le plan anatomique, l’ongle est une partie dure et insensible de l’orteil ou du doigt, faite essentiellement de kératine. A l’opposé des cheveux, l’ongle de contient pas de pigment de type mélanine, et, à ce titre, n’est pas sujet à des biais de couleur. La vitesse de pousse des ongles de la main est de l’ordre de 3  mm par mois, alors qu’elle est plus réduite pour les ongles des pieds, de l’ordre de 1 à 1,5 mm par mois. L’incorporation des xénobiotiques se fait à 80 % au niveau de la matrice proximale et à 20 % au niveau du lit de l’ongle. Il est communément admis qu’après avoir coupé les ongles, la partie coupée représente une fenêtre de détection de 3 à 6 mois pour les mains et 8 à 12-16 mois pour les pieds. Les concentrations dans les ongles sont généralement plus faibles que dans les cheveux [15].

À ce jour, parmi les classes de substances interdites et celles soumises à certaines restrictions, les analystes ont pu identifier dans les phanères la plupart des produits interdits selon le code mondial antidopage, à l’exception majeure des hormones peptidiques, du fait de leur encombrement stérique ne permettant pas le transfert depuis les capillaires sanguins.

Dans le domaine du sport quel est l’intérêt de telles analyses ? 

Depuis 1998, plusieurs affaires judiciaires ont permis de documenter des observations dans le monde du sport, en France et dans d’autres pays. Les cheveux de sportifs ont ainsi été utilisés pour mettre en évidence des pratiques de dopage, des situations de trafic de substances classées comme vénéneuses, généralement des anabolisants ou encore pour infirmer des analyses urinaires contestées. C’est l’affaire dite « Festina » dans le cyclisme qui a conduit en partie à la création de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Cette agence a désormais la responsabilité internationale de la politique antidopage, en particulier en maintenant à jour le Code mondial antidopage.

En France, dans sa version définitivement adoptée le 23 mars 1999, la loi (99-223) relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage complétée par le décret nº 2001-35 du 11 janvier 2001 autorise la mise en évidence d’une pratique dopante à partir d’un échantillon de phanères (cheveux, poils, ongles).

L’analyse des cheveux autorise la différenciation entre un usage unique et une consommation régulière. De cette façon, l’usage récréatif de cannabis ou de cocaïne, en particulier dans certains sports collectifs pourrait être documenté. La contamination « accidentelle » ou dans l’intention de nuire (par sabotage) d’une boisson et qui conduirait à un résultat urinaire positif, pourrait être élucidée par analyse des cheveux, l’athlète pouvant alors prouver une exposition unique.

Dans le cadre de la protection de la santé des sportifs (suivi longitudinal), un usage prolongé d’anabolisants stéroïdiens, de corticoïdes ou de ß2-adrénergiques (salbutamol) ne peut être mis en évidence par analyse urinaire. Au contraire, les cheveux remplissent parfaitement leur rôle de mémoire historique. Les révélations des expertises judiciaires pratiquées après le Tour de France 1998 sont, dans ce sens, tout à fait éloquentes.

L’AMA vient de mettre à jour sa liste des produits interdits et encadrés applicables au 1er janvier. Peut-on imaginer qu’à termes les méthodes de détection du dopage évoluent vers par exemple le prélèvement des cheveux comme dans le système judiciaire ?

Que ce soit en France, en Europe, aux États-Unis, et plus généralement dans les pays où le contradictoire existe, l’expertise toxicologique à partir de cheveux, des poils ou des ongles est désormais reconnue par les Tribunaux en charge des affaires criminelles. Dans ces conditions, mais sans polémique, il convient de s’interroger sur l’absence de considération des matrices kératinisées par l’AMA alors que des milliers d’analyses sont faites chaque jours sur les cheveux dans des domaines aussi variés que la sécurité routière, la protection infantile, le suivi des addictions ou encore l’aptitude professionnelle au travail.

L’analyse des agents dopants dans les cheveux, poils ou ongles reste controversée et s’apparente parfois à des luttes très politiques alors même que rien ne s’oppose dans ces choix. Il convient de garder à l’esprit les limites de l’analyse des cheveux et de ne pas interpréter des résultats sans validation complète sur le plan analytique.

A ce jour, l’acceptabilité des cheveux est contestée par l’absence d’études contrôlées, en particulier pour les anabolisants, les SARMs et les diurétiques, qui sont des substances qui s’incorporent mal dans les cheveux. Dans ces conditions, il peut être difficile de documenter un cas avec des urines positives et des cheveux négatifs si l’expert n’est pas capable de faire la preuve d’une sensibilité analytique suffisante. Pour de nombreux agents dopants, il n’existe pas de référentiel (dose minimale détectable, influence de la couleur des cheveux, stabilité, biais d’incorporation …), ce qui peut compliquer les interprétations et surtout donner des arguments aux instances qui s’opposent aux analyses capillaires.

Le contrôle du dopage par l’AMA par analyse des cheveux ne semble pas être à l’ordre du jour et, dans les faits, ne devrait pas faire l’objet de profondes modifications des règles du code de l’AMA. En revanche, dans le cadre des expertises judiciaires, cette approche, calquée sur les analyses de stupéfiants, peut se révéler déterminante dans la lutte contre les trafics d’agents dopants, mais surtout dans la mise en évidence d’une altération du comportement (libido, agressivité) sous l’influence de substance de la performance, en particulier les anabolisants ou les décès inattendus d’origine cardiaque.

Au final, l’analyse des cheveux a démontré en médecine légale (et donc dans les affaires criminelles) une avancée majeure et des applications indispensables qu’on ne peut pas imaginer que les instances sportives ne puissent faire preuve de bon sens et d’intelligence pour, à minima, évaluer la pertinence de cette approche dans des dossiers compliqués.

En quoi vos méthodes peuvent-elles aider les athlètes et leur environnement ? 

Le nombre de contestations de résultat anormal semble en augmentation constante, comme en atteste l’activité croissante de certains cabinets d’avocats spécialisés dans le sport. Ainsi, les demandes d’assistance à la suite d’un échec à un contrôle sont essentiellement le fait d’athlètes de haut, voire très haut niveau international, avec des dossiers instruits par des juristes majoritairement issus de la culture anglo-saxonne, dont le système juridique est basé sur le contradictoire. La mise sur le marché d’outils analytiques particulièrement sensibles a singulièrement compliqué les investigations lorsque les concentrations urinaires sont de l’ordre du pg/mL. Ainsi, plus les concentrations sont faibles, plus le risque de contamination augmente.

Nous travaillons essentiellement dans des situations où la notion de contamination est très présente. Dans ces conditions, il nous a semblé important d’établir les critères d’acceptabilité scientifique dans les situations où une contamination est suggérée. La source de la contamination peut être l’utilisation de compléments alimentaires, de viande, une exposition environnementale ou encore des rapports intimes avec une personne ayant consommé un produit interdit. Le concept est d’introduire le raisonnement médico-judiciaire dans l’antidopage.

La stratégie du cabinet X-Pertise Consulting, basée sur une expérience de 25 ans dans le domaine est la suivante :

  • les concentrations urinaires des substances identifiées chez l’athlète doivent être très faibles (en général, inférieures à 1 ou 2 ng/mL, voire du domaine du pg/mL)
  • si possible, la dose entrée dans l’organisme doit être estimée, ce qui permettra de contester tout effet pharmacologique augmentant la performance

– une analyse de cheveux de l’athlète doit confirmer l’absence de consommation de la substance identifiée à dose efficace pour augmenter les performances (la période couverte par l’analyse de cheveux doit englober celle du contrôle urinaire)

  • l’athlète et ses conseils doivent présenter des éléments vérifiables justifiant une contamination et la source de contamination doit être identifiée. Cet élément d’identification de la source est primordial pour pouvoir établir ensuite la non-intentionnalité  de consommation.
  • l’athlète doit démontrer qu’il ou elle ne savait pas qu’une substance prohibée était présente, et qu’il ou elle ne l’avait pas consommé de façon intentionnelle
  • un pharmacologue ou un toxicologue expérimenté doit vérifier si les déclarations de l’athlète sont acceptables sur le plan scientifique
  • enfin, une analyse de cheveux du partenaire (en cas de contamination par contacts intimes) doit confirmer un usage de la substance incriminée, afin de pouvoir être identifié comme étant la source de contamination

pascal.kintz@wanadoo.fr

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