Amélie Oudéa-Castéra : le mouvement sportif propose aux Maires de « faire équipe » pour faire du sport une grande cause municipale
Amélie Oudéa-Castéra est présidente du CNOSF depuis cinq mois jour pour jour. Elle présentera ce matin aux maires de France le plaidoyer “Ensemble, faisons du sport une grande cause municipale !”. (Le document est sous embargo jusqu’à sa présentation à midi).
Nous l’avons contactée pour faire le point sur ses 150 premiers jours, sur les grands enjeux qui attendent le sport français, et sur la façon dont le CNOSF compte se positionner durant cette olympiade.
1. Cinq mois jour pour jour après votre élection à la tête du CNOSF, quel est votre diagnostic sur le CNOSF ?
Amélie Oudéa-Castéra – J’ai été très bien accueillie par les équipes, avec qui nous avançons bien. Notre gouvernance est désormais en place, avec de la confiance entre les élus et de la fluidité avec toutes les fédérations. Les sujets sont passionnants et l’institution a un formidable potentiel. Mais je pense que nous devons faire évoluer certains aspects de la culture de la maison.
Ce dont j’ai par exemple progressivement pris conscience, c’est que le CNOSF s’est trop construit, pendant des années, dans une forme de bras de fer permanent avec le ministère des Sports. On passe beaucoup trop de temps à jouer au chat et à la souris avec l’État… et pas assez à regarder tout ce qui se passe autour : les collectivités, les acteurs économiques, les acteurs de la santé, du social.
Et puis j’ai aussi ressenti une trop grande distance avec le terrain alors que nos CROS et nos CDOS, entre les fédérations d’un côté et les financeurs locaux de l’autre, sont un atout stratégique pour permettre à notre institution de toucher la vraie vie du sport. C’est une conviction qu’on partage avec Gilles Erb, notre vice-président pour les territoires.
Mon sentiment, au global, c’est qu’on doit sortir d’une posture un peu défensive et nous affirmer plus que jamais comme une maison ouverte, utile et stratégique. Et nous positionner aussi beaucoup plus en complémentarité qu’en rivalité ou en confrontation avec le ministère des sports, en veillant à être présents partout où il y a des besoins concrets pour le mouvement sportif.
2. Un CNOSF qui s’ouvre ? c’est ça ?
Amélie Oudéa-Castéra – Oui, il faut arrêter de tout ramener au duo CNOSF–ministère.
Très concrètement, je veux que le CNOSF soit non seulement plus tourné vers ses fédérations membres, dans toute leur diversité (d’où la recréation par exemple du « Collège » des affinitaires), mais s’ouvre aussi :
- Aux acteurs de terrain, en particulier le bloc communal. Car le sport est d’abord une réalité municipale en France. Les maires, les intercos, ce sont eux qui tiennent les équipements et les clubs. Il faut que nos CDOS soient plus que jamais connectés à eux.
- Aux acteurs sociaux : la CNAM pour le sport-santé, les CAF pour les aides aux familles, les Maisons sport santé, etc. Si on veut que le sport compte dans la santé et la cohésion sociale, il faut qu’on travaille avec ceux qui en ont la responsabilité.
- Aux acteurs économiques privés : c’est un gros chantier. Je passe beaucoup de temps à aller voir des entreprises, des investisseurs, des institutions comme la Caisse des Dépôts.
Le projet Sport’Renov que je présenterai au Salon des Maires, c’est exactement ça : une impulsion que nous donnons pour permettre aux collectivités, grâce aux prêts bonifiés et à l’ingénierie technique que mettra à disposition la Banque des Territoires, de rénover les équipements des clubs municipaux, comme cela a été fait pour les établissements scolaires avec Edu’Renov.
En bref, s’ouvrir, c’est faire du CNOSF un carrefour, pas une institution un peu trop dans son couloir, voire parfois un peu repliée sur elle-même.
3. Quels sont, pour vous, les grands enjeux des 5 à 10 prochaines années pour le sport français ?
Amélie Oudéa-Castéra – D’abord je veux dire que le sport français va globalement bien. Nous enregistrons un record de licenciés et de pratiquants dans le pays, nous avons réussi les Jeux qui ont montré qu’on était une nation de grands sportifs et qui ont donné une visibilité et une importance inédites au sport en France.
Au delà de ce constat, je vois trois grands enjeux.
D’abord, passer de nation de grands sportifs à grande nation sportive, on en parle souvent avec la ministre, Marina Ferrari. On a les champions, les Jeux, les infrastructures… mais dans le même temps, 73 % des 11–17 ans ne bougent pas assez. Le vrai défi, c’est la pratique pour tous, la santé, l’éducation par le sport.
Ensuite, sécuriser le modèle économique du sport.
Nous savons que le contexte est difficile. Selon l’ANDES 43% des collectivités annoncent une baisse de leur budget sport, 49% de leurs projets d’infrastructures, 41% de leur budget d’événementiel sportifs et 31% de l’emploi sportif. Mais en même temps, on a des taxes affectées et notamment des paris sportifs qui rapportent beaucoup, et des financements privés encore trop peu mobilisés. Un des enjeux pour les prochaines années est de diversifier et moderniser le modèle économique du sport en France. Ce que je propose aux maires, c’est que sans avoir à dépenser plus, on investisse plus juste ensemble et qu’on améliore l’efficacité de nos actions communes.
Enfin, réussir la transition écologique et sociale du sport : rénover les équipements, réduire l’empreinte carbone, mieux inclure, féminiser, adapter les pratiques. Si le sport veut rester crédible, il doit montrer qu’il est responsable et inclusif, pas seulement performant.
4. Votre programme de candidate à la présidence du CNOSF, était un CNOSF fort, moderne et utile… Où en êtes-vous concrètement ?
De manière très simple, notre feuille de route se résume en « 1 + 3 + 1 ».
Le premier “1”, c’est l’héritage : celui des Jeux, mais aussi de vingt ans de politiques sportives. L’idée, c’est de ne pas laisser cet héritage retomber, mais de s’en servir pour construire la Nation sportive.
Le “3”, ce sont les trois piliers – pour un CNOSF fort, utile, moderne – du programme que nous avons porté avec Cédric Gosse :
Un CNOSF FORT, c’est une ambition qui s’est déjà déclinée récemment sur 3 sujets :
- le budget : nous continuerons à nous battre, avec le CPSF, pour que l’Etat ne se désengage pas et les arbitrages récents sont à cet égard plus rassurants que cet été
- les rythmes de l’enfant : nous avons transmis une contribution au CESE dans le cadre de la convention citoyenne, grâce à un beau groupe de travail pluridisciplinaire que j’ai coordonné associant nos fédérations, des chercheurs et des personnalités de premier plan comme Stéphane Diagana ou François Carré, et nous avons conclu sur la nécessité de lancer un appel pour une sortie des classes à 16 h pour tous les enfants
- les municipales enfin : avec le plaidoyer pour faire du sport une grande cause municipale, que je présenterai aux Maires.
Et je le redis : fort, ça ne veut pas dire conflictuel ; ça veut dire audible et respecté.
Un CNOSF UTILE : là, j’ai mis en place deux priorités pour agir vite :
- le lancement d’un plan sur le bénévolat, avec des annonces à venir le 5 décembre prochain,
- et celui d’une fondation pour un sport sans violences, que nous allons créer dans les semaines à venir sous l’égide de la Fondation du Sport Français, pour mobiliser du mécénat de compétences au service des petites fédérations. L’idée est de créer un pool d’instructeurs qui les aidera à traiter avec des moyens renforcés leurs dossiers disciplinaires. C’est très concret.
Un CNOSF MODERNE : ce sont 6 grands axes de travail prioritaires, avec certains chantiers engagés et d’autres à venir :
- La modernisation économique, sur laquelle nous avons beaucoup accéléré la réflexion,
- Le numérique et la gestion des données,
- La transition écologique (avec nos engagements au titre du PNACC),
- L’inclusion sociale via le soutien à la démarche des clubs engagés notamment,
- La féminisation de la pratique et des emplois sportifs,
- et les nouvelles pratiques, qui seront éclairées par notre futur Conseil de la prospective.
Le dernier “+1”, c’est la trajectoire vers 2030 : les Jeux de Milan-Cortina, puis le retour du drapeau et de la délégation à Albertville dans la foulée, qui va véritablement lancer la dynamique vers nos prochains Jeux à la maison.
5. Venons-en au plaidoyer pour faire du sport une grande cause municipale. Qu’en attendez-vous ?
Le sport en France, je le disais, c’est d’abord les maires.
Les communes, ce sont près de 9 milliards d’euros investis, les intercos 3 milliards, 46 000 agents, et pour 75 % des clubs, c’est la première source de financement public. Et ce sont les collectivités qui ont fait vivre l’esprit des Jeux partout : relais de la flamme, accueil des épreuves, fan zones, dynamique Terre de Jeux…
Je sais que les maires sont sous pression, entre sécurité, logement, attentes sociales, finances contraintes. Mais mon message pour eux est simple : ne lâchez pas le sport.
Le sport est un géant sociétal : santé, éducation, prévention, lien social, attractivité du territoire.
Et les Français le savent : 81 % pensent que le sport est une politique importante à maintenir.
À la veille des municipales, entre deux éditions des Jeux, c’est le bon moment pour dire : faisons du sport une grande cause municipale. Faisons équipe ensemble.
6. Avec quels moyens ?
Je le dis très clairement : je ne demande pas aux maires de dépenser plus, je leur propose qu’on investisse plus juste, ensemble.
Ce plaidoyer, c’est la base d’un Pacte sportif territorial autour de 10 priorités très concrètes.
Et surtout, avec un changement de posture : on ne vient pas dire “faites ceci, faites cela”, on vient dire : “Voilà ce que le mouvement sportif peut faire pour vous aider à réussir vos politiques publiques.”
Quelques exemples de ces priorités, nourris par les meilleures pratiques locales et les contributions de nombreux acteurs de terrain :
- Rapprocher l’école et le club, pour que 100 % d’une classe d’âge puisse pratiquer en club. Ça suppose de revoir les rythmes, d’ouvrir vraiment le temps extrascolaire – d’où notre appel à la sortie des classes à 16h – mais aussi de s’appuyer sur des initiatives concrètes et d’animer une gouvernance beaucoup plus partagée.
- Relancer l’investissement dans les équipements en donnant aux élus des marges de manœuvre nouvelles, notamment via Sport’Renov : prêts à taux bonifiés et ingénierie gratuite de la Caisse des Dépôts, pour rénover les équipements des clubs municipaux. On veut proposer ça au bloc communal au premier semestre 2026 et nous travaillerons aussi en ce sens avec le ministère et l’agence.
- Créer des espaces de dialogue sur les normes sportives dites « grises », pour arrêter que ce soit un sujet subi et une source de tensions entre collectivités et sport pro.
- Intégrer le sport dans les politiques d’urbanisme, d’attractivité, de développement économique : ne plus le cantonner à une petite case “loisirs”.
- Soutenir les bénévoles et faire du club un vrai outil d’inclusion et de sport-santé.
Et tout ça, on veut le porter dans la durée, en s’appuyant sur ce qui existe déjà : les labels Ville Active et Sportive, Terre de Jeux, les Plans Sportifs Locaux (PSL) qui doivent se développer partout. Mais aussi en mettant en place, au CNOSF, un Conseil des Villes suffisamment ouvert et divers, quand les exécutifs locaux auront été élus.
Si, à la fin, on peut dire que le sport est devenu une vraie grande cause municipale, construite avec les maires, et qu’ils voient le CNOSF, avec ses structures déconcentrées, comme un partenaire fiable et utile, alors on aura réussi notre pari.


