Les Jeux Asiatiques de Hangzhou qui se sont ouverts la semaine dernière devraient accueillir 12.500 athlètes, plus que Paris 2024. L’occasion d’un coup de projecteur sur ces jeux « régionaux », jusqu’ici relativement confidentiels, qui, dans leur « version été », s’affirment comme le plus grand événement sportif de tous les temps et, dans leur « version hiver », à fréquence aléatoire, reverront le jour en 2029 en Arabie Saoudite à Neom / Trojena[i].
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L’universalisation décroissante des grands évènements sportifs internationaux
Après les JO d’été 2008 (Pékin), les JO d’hiver 2014 (Sotchi) et 2022 (Pékin), les coupes du monde 2018 (Russie) et 2022 (Qatar) c’est à une universalisation restreinte et « sélective » que le sport est confronté pour ses grands événements internationaux. Faudra -t-il se résoudre à ce que la devise Citius, Altius, Fortius ne soit plus scandée que dans des états autoritaires accueillant des grands événements sportifs internationaux délaissés par des démocraties confrontées à de fortes oppositions internes ?
Ces états autoritaires sont de plus en plus présents dans le calendrier des grands événements sportifs internationaux. Les candidatures portées par une volonté d’affirmation politique internationale et interne n’y rencontrent pas d’opposition sérieuse ou au moins visible. Les grands événements contribuent à la fierté nationale qui constitue un des ressorts politiques de ces états. Ils sont également l’occasion d’une affirmation sur la scène internationale avec des enjeux diplomatiques : le président syrien a été chaleureusement accueilli à Hangzhou lors de la cérémonie d’ouverture alors que trois sportives indiennes originaires de l’État d’Arunachal Pradesh n’avaient pas pu obtenir de visa, leur région étant revendiquée par la Chine.
Des oppositions virulentes dans les démocraties
De l’autre côté les démocraties peinent à convaincre leur population de l’utilité de ces grands événements sportifs internationaux. Le cimetière « d’éléphants blancs », dans lequel reposent de nombreux grands équipements démesurés des éditions passées, mobilise les oppositions. Les opposants vilipendent en outre, depuis quelques années, l’impact environnemental du déplacement massif (et majoritairement aéroporté) de personnes pour un seul événement. Pour les jeux olympiques d’hiver de 2026 les candidatures autrichienne, canadienne et suisse avaient d’ailleurs été retirées à l’issue de référendums négatifs.
Pour résister à la critique ou au moins n’être pas emportées par la contestation, les candidatures doivent, dans les démocraties, mettre en avant leur sobriété. L’utilisation d’infrastructures et d’équipements existants est une figure imposée. C’est le cas des « candidatures » de la Suisse ou des régions Auvergne Rhône Alpes et Sud pour les jeux olympiques et paralympiques d’hiver 2030. C’était également l’argument de Paris 2024, Milan – Cortina 2026 et Los Angeles 2028.
La Coupe du Monde de Rugby fait depuis plusieurs années figure d’exemple en la matière. L’événement s’accommode en effet aisément des infrastructures et équipements existants dans des pays d’accueil restant, à l’exclusion du Japon en 2019, cinq nations historiques des anciens tournois des 5 Nations et 3 Nations (avant le passage à respectivement 6 et 4)[ii]. Mais l’exemple a ses limites : le rugby international ne poursuit pas l’universalisme des Jeux Olympiques.
Cet universalisme est au cœur de l’idéal olympique et de l’ambition de « promouvoir un héritage positif des Jeux Olympiques pour les villes et les pays hôtes »[iii], résultat d’une « vision [englobant] tous les bénéfices tangibles et intangibles à long terme amorcés ou accélérés par l’accueil des Jeux Olympiques/de manifestations sportives pour les personnes, les villes/territoires et le Mouvement olympique »[iv].
Un impératif de sobriété qui inhibe les candidatures de démocraties « honteuses » au profit des états totalitaires
L’universalisme et l’ambition d’héritage sont aujourd’hui confrontés à l’impératif de sobriété inhibant les candidatures des démocraties et laissant « le terrain » aux états autoritaires.
C’est là la principale difficulté de grands événements sportifs internationaux dont l’avenir pourrait se décliner entre :
- des démocraties « honteuses » au point de proposer, dans des villes ou régions ayant déjà accueilli ces grands événements, des configurations « étriquées » pour ne pas prêter le flanc à la critique,
- des états autoritaires triomphants, accueillant dans une démesure de faste pour assoir leur légitimité interne et leur diplomatie.
Dans les démocraties honteuses, la configuration étriquée reviendrait à oublier le formidable levier de développement qu’ont pu être les grands événements internationaux. Certes ils ont parfois donné naissance à des équipements démesurés depuis abandonnés. Mais ils ont souvent été le levier de développement d’une ville ou d’une région. Sans Grenoble 1968 et Albertville 1992 les vallées de l’Oisans et de la Tarentaise n’auraient pas connu le développement qui leur a permis de maintenir une activité économique, des villages et des villes … Si des Jeux Olympiques et Paralympiques d’Hiver devaient revenir sur ces lieux, l’occasion de contribuer au développement d’une nouvelle vallée serait manquée. C’est là le risque de la candidature commune des régions Auvergne Rhône Alpes et Sud : la sobriété déplacera le barycentre vers le Nord où les infrastructures et équipements existent, laissant le Sud au pied de la marche de développement qu’il aurait pu gravir. Il faudra peut-être encore, après 2030, plus de 4 heures 30 en train pour relier Marseille à Briançon, à peine moins que pour relier Paris à Bourg Saint-Maurice. C’est l’ambition d’un héritage olympique que la sobriété assassine.
L’idée même de grands événements sportifs universels est menacée
En se projetant après quelques éditions décriées dans les choix successifs d’états autoritaires comme hôte (à défaut de candidature de démocraties), c’est l’idée même de grand événement sportif universel qui pourrait s’estomper.
On ne sait pas si les Jeux Olympiques ont contribué à la paix entre les nations comme l’espérait Pierre de Coubertin. Mais on sait ne rien pouvoir attendre d’une « autarcie sportive » qui remettrait en cause les Jeux Olympiques et Paralympiques et les autres grands événements sportifs internationaux.
[i] Les derniers jeux asiatiques d’hiver remontent à 2017 et auparavant à 2011. Cette prochaine édition en 2029 en Arabie Saoudite pourrait être le grand événement sportif le plus décrié s’agissant de son impact sur le climat.
[ii] Le rugby international peut même infliger en France au football national l’image d’internationaux des plus grandes nations se déplaçant en train, là où de nombreux clubs de L1 utilisent l’avion.
[iii] Article 2 de la Charte.
[iv] CIO, Approche stratégique en matière d’héritage : une stratégie pour l’avenir, déc. 2017.