Piscines : une norme à contre-courant qui risque de déresponsabiliser les MNS et provoquer un désintérêt du métier ! Jean-Claude Cranga
En s’appuyant sur la méthode de management des risques esquissée dès les textes sur le POSS en 1998 puis confirmée dans la norme 15288 1-2, la norme NF S52-014 (Piscines à usage public – Exigences de surveillance (des baignades) – Organisation et mise en oeuvre) déroule la méthode HACCP, pour réduire le risque noyade dans les piscines publiques. Sa publication incitera -t elle les acteurs a plus de rigueur au quotidien ? Compte tenu du niveau de précision apporté par ce nouveau texte, c’est une véritable révolution culturelle au bord des bassins que devront engager tous les acteurs concernés, pour que cette norme ne soit pas qu’une approche théorique du management des risques en piscine publique.
S’appuyant sur l’amélioration continue des connaissances et sur le transfert technologique des méthodes de management des risques appliquées dans d’autres secteurs de l’industrie ou de la restauration, la norme atteint, cette fois, un grand niveau de précision.
Une complexité dans l’organisation qui ne pourra répondre que par des protocoles extrêmement précis
Mais les acteurs de terrains sont -il prêts à s’inscrire dans une démarche hyper rationalisée, qui laisse très peu de place à l’appréciation individuelle des MNS ?
Exemple : art. 7.4.4.4; la surveillance côte à côte de 2 MNS est à proscrire… soit ils surveillent la même zone, soient ils s’empêchent mutuellement de surveiller efficacement : ça a le mérite d’être clair
Si le principe de la zone de surveillance est réaffirmé, la technique du balisage visuel (directement inspirée de la méthode nord américaine de surveillance ) ne laissera pas indifférente le MNS qui jouissait jusqu’alors d’une certaine tolérance pour choisir sa façon de surveiller…(Art. 7.4.6.3.2).
Au final, la norme amène de la complexité dans l’organisation qui ne pourra répondre que par des protocoles extrêmement précis. Cette organisation sera formalisée dans des plannings de travail pourtant déjà si difficiles à élaborer, car ils sont le concentré de la réglementation du travail, des capacités RH de l’établissement, de la politique publique en matière d’ouverture de la piscine, des spécificités des différents publics accueillis et maintenant des préconisations de la norme. Changement de poste toutes les 30 mn (art. 7.4.4..3.1) ou changement de mission ( art. 7.4.4.3.2).
Une norme inflationniste en termes de moyens humains ou la nécessaire diminution du périmètre de service public
Au final la norme sera sans doute inflationniste en termes de moyens humains ou imposera une diminution du périmètre de service public au moment où l’apprentissage de la natation devrait mobiliser plus de moyens.
Pour limiter le risque, la norme incite à une véritable standardisation de la surveillance et tend à rationaliser à l’extrême l’action quotidienne du MNS. Elle transcrit les résultats de recherches universitaires, qui pour être incontestables rencontreront de très nombreuses difficultés de mise en oeuvre sur les bassins
– Le MNS demeure un être humain dont on connait les limites physiologiques, notamment en termes de vigilance.
– On connait le déficit chronique de professionnels disponibles : 70 % des piscines sont en manque de personnel qualifié.
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– On connait également la résistance au changement et l’enjeu managérial que constitue une refonte des procédures qui impacteront immanquablement le quotidien des MNS et une certaine liberté de concevoir leur métier.
La norme a le défaut de rester au milieu du gué. Soit elle va jusqu’au bout et propose des consignes précises, soit elle responsabilise les acteurs du gestionnaire au surveillant de bassin comme le fait le texte initial sur le POSS. Ce texte donne de l’intelligence aux acteurs en les rendant responsables de l’élaboration et du niveau de précision des consignes qu’ils veulent appliquer sur leur établissement. Ils sont également responsables de leur mise en oeuvre. Cela permet de prendre en compte les disparités locales, le niveau des moyens disponibles et surtout cela permet une adaptation souple des moyens mobilisés face aux risques noyade.
Un risque de déresponsabilisation des MNS et de désintérêt du métier !
En codifiant le travail, la norme risque de déresponsabiliser les MNS au moment même où ils revendiquent plus d’attractivité pour leur métier ! Alors que tous les employeurs subissent une crise des vocations pour ce métier, pas certain que cette norme donne envie aux candidats MNS d’accepter cet encadrement de la surveillance, logique en théorie mais exorbitant dans le quotidien du professionnel. Sans justifier les errements constatés parfois sur les bassins cette norme va déshumaniser encore plus ce métier que l’alternance des missions ne parviendra pas à atténuer.
La faute personnelle du MNS plus facile à prouver.
Même si cette norme n’a encore pas de pouvoir réglementaire, elle reste une menace en cas de contentieux. En limitant les marges d’appréciation des acteurs de terrain, la faute ne sera -t-elle pas d’autant plus facile à prouver permettant au juge de construire le lien de causalité pour mettre en évidence la responsabilité des MNS ?
Dans un contexte déjà tendu, le risque noyade dans les piscines publiques est -il si important pour prendre également le risque de réduire, faute de moyens, l’apprentissage systématique de la natation qui demeure malgré tout la réponse la plus pertinente au risque noyade sur tout le territoire ?
Dans tous les cas, un gros chantier s’ouvre. Celui d’une formation systématique et généralisée s’imposera. Les élus devront être alertés sur leur niveau de responsabilité et tous les acteurs de la chaine de surveillance devront être sensibilisés pour décliner concrètement les recommandations de la norme.
A -t -on fait un bilan de la précédente norme NF EN 15288-2 ? A l’heure de la simplification des procédures administratives, cette norme s’imposait -elle ? En matière de gestion des risques, ne faudrait -il pas renverser la proposition pour responsabiliser les acteurs et contrôler ?
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