Denis Masseglia : retour vers le futur des JOP de Paris 2024

Denis Masseglia président du CNOSF entre 2009 et 2021 a accepté de répondre à nos questions sur la vision qui était la sienne au moment de la candidature de Paris à l’organisation des JOP de Paris 2024 (la place du sport dans la société, le rôle des clubs, l’héritage de Paris 2024, …) ainsi que sur l’actualité (gouvernance du sport, gouvernance des fédérations, crise au CNOSF, …).

Denis Masseglia, vous venez de publier une tribune dans le journal La Provence, c’était le 17 février 2023, soit 7 ans jour pour jour après la cérémonie de la Philarmonie au cours de laquelle le projet de Paris 2024 avait été dévoilé. Ca vous rappelle quoi d’abord ?

La concordance des dates est un pur hasard mais c’était effectivement un grand moment de notre candidature que cette cérémonie. Ce fut l’occasion pour Tony Estanguet de se positionner pour la première fois comme leader en affichant la vision de Paris 2024 et nous avons tous été unanimes à saluer sa prestation. Cela me donne d’ailleurs l’occasion d’avoir une pensée pour Bernard Lapasset qui avait pris Tony sous son aile protectrice et avait souhaité son leadership.

Quels étaient vos espoirs il y a 7 ans ?

En fait nos espoirs avaient été formulés un peu plus tôt en janvier 2014 avec un document résultant d’un travail concerté de tout le mouvement sportif sur près d’un an. Le titre en était « Passer d’une nation de sportifs à une nation sportive », il y était indiqué une clé : « Rénover le modèle sportif français » et un vœu fort : « celui d’une candidature française à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 qui serait le meilleur moyen de fédérer toutes les énergies du pays et les mettre au service de ce projet. »

Tout y était détaillé sur 14 pages et c’était en quelque sorte le fil conducteur du pourquoi candidater. Le vœu de la candidature est devenu rapidement réalité et l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques a été confiée par le CIO à la France en 2017. La clé de rénover le modèle sportif français s’est concrétisée alors par la mise en place de l’Agence Nationale du Sport, avec évidemment quelques différences aujourd’hui avec la conception originelle. Quant à l’ambition suprême de faire passer la France d’une nation de sportifs à une nation sportive, elle a le mérite d’avoir été reprise par beaucoup, ce qui est déjà bien. On pourrait résumer en disant qu’elle est toujours d’actualité.

Quelle vision aviez-vous de ce que serait la place du sport dans la société aujourd’hui ?

Le sport, c’est d’abord du plaisir et de l’émotion. Par-delà, à travers le respect de la règle, des autres et de soi-même, le sport permet à chaque individu de se construire, de se faire des amitiés indéfectibles, de se créer une identité et d’aimer : son sport et son club avec son histoire et ses couleurs.  La vision était donc simple : il fallait que le sport « qui a le pouvoir de changer le monde » devienne un enjeu pour la France et qu’il soit reconnu comme le véritable fait de société qu’il est avec en plus, comme je l’ai publié dans « Le sport, c’est bien plus que du sport », ce qu’il apporte en matière d’utilité sociale : éducation, santé, lien social, intégration et mieux-être. Cela revenait à ce qu’il soit une préoccupation, au même titre que d’autres, pour tous les décideurs, politiques, économiques (le poids du sport dans l’économie est loin d’être négligeable !) ou médiatiques. Faire en sorte que tous adhèrent à l’idée que le sport est un élément essentiel à l’équilibre des sociétés modernes, que de ce fait il ne doit pas être considéré comme une charge mais bien comme un investissement. A ce sujet, avec le développement des paris sportifs en ligne, on aurait pu espérer une adhésion des différents partis politiques à l’idée souvent émise que le sport puisse financer le sport. Une taxe déplafonnée sur les paris sportifs aurait assuré un retour logique en même temps qu’un renforcement du lien entre le sport professionnel et le sport amateur. On aurait pu imaginer que ce soit un élément de l’héritage des Jeux et une formidable reconnaissance pour l’action des Clubs et des millions de bénévoles qui les animent.  La reconnaissance de leur action, un rêve en même temps qu’un vœu, c’est encore à espérer pour une cause collective qui s’exprime encore aujourd’hui par les deux mots simples que sont Bravo et Merci.

Et aujourd’hui, est-ce que vous pouvez tirer un premier bilan ?

Il y a tout d’abord un événement que personne n’avait prévu, à savoir la pandémie. La Covid 19 a bouleversé toutes les vies à travers de nouvelles habitudes dont le télétravail et l’intérêt de pratiquer le sport de manière régulière et appropriée pour conserver son capital santé. Sur ce dernier point, nous pourrions nous retrouver face à un vrai paradoxe, à savoir que les Français prennent davantage conscience de l’intérêt d’avoir une activité physique mais que cela se traduise par un côté individualiste. Il est évident que Paris 2024 va inciter à pratiquer davantage mais j’ai un peu d’inquiétude à que cela ne se fasse pas forcément dans un club. Quant au bénévolat, je n’ai pas l’impression que l’on ait progressé sur sa reconnaissance, et pourtant, il y a tellement de bénévoles qui tiennent le sport à bout de bras avec passion et efficience.

Justement, vous avez toujours évoqué le Club sportif dans vos différentes interventions. Comment voyez-vous son évolution ?

Tout d’abord j’ai envie de dire que le mot sport est parfois un raccourci qui peut prêter à confusion. Les valeurs du sport dont on parle régulièrement ne sont en fait que celles que l’on acquiert grâce à la pratique en Club, et je rajoute en Club Fédéré. L’évolution des statistiques doit nous interpeller : il y a de plus en plus de clubs sportifs, ce qui démontre une réelle appétence pour la vie associative sportive mais pour autant cela ne se traduit pas par une augmentation similaire du nombre de Clubs fédérés. C’est pour moi l’enjeu majeur de 2024 qui doit mettre l’éclairage sur l’intérêt de la pratique en Club fédéré, notamment pour les plus jeunes. Comme mes prédécesseurs, je me suis attaché à maintenir l’unité du mouvement sportif parce qu’elle est une condition sine qua non de son futur. Parce que le Sport est dans chaque sport, il faut que le mouvement sportif soit uni, toutes sensibilités confondues, pour mener ce combat de l’intérêt pour un Club d’être fédéré. Il faudra être créatif dans un esprit mutualisé pour insister sur les atouts amenés par l’appartenance fédérale et en même temps accepter l’idée d’une évolution nécessaire du Club tant par la digitalisation que par l’exemplarité sur les plans sociétal et environnemental. Nous sommes à une époque où la communication et la promotion jouent un rôle majeur, l’enjeu est de comprendre qu’on sera bien plus forts en communiquant ensemble que chacun pour soi dans un esprit de concurrence interne. De ce point de vue, je trouve que nous avions fait quelque chose de très intéressant avec la plateforme Mon Club Près de Chez Moi.

Quelle est aujourd’hui votre préoccupation première par rapport à l’avenir des Clubs fédérés ?

J’ai toujours été préoccupé par la difficulté du lien entre l’Ecole et le Club. C’est toujours d’actualité. Nous avons mis en place une carte passerelle pour faciliter l’inscription des jeunes de 10-12 ans dans les clubs mais le rêve que l’on pouvait avoir que le dispositif soit promu par les enseignants eux-mêmes est encore loin d’être réalité. Et pourtant a-t-on conscience de la bombe à retardement qui nous attend dans quelques décennies ? La sédentarité, accélérée par le temps passé devant les écrans, va entraîner une progression des maladies cardio-vasculaires sur laquelle les médecins alertent sans que pour autant cela se traduise par une volonté d’action. Le club est le lieu même où on apprend à se dépasser et former son cœur à être mieux préparé pour affronter par la suite toutes sortes de difficultés. Le COJO Paris 2024 a obtenu qu’il y ait l’inscription de 30 minutes d’activité physique à l’école, c’est très bien mais ce serait une formidable erreur que de penser que cela va suffire à combattre la sédentarité, fléau des temps modernes. Il faut que se crée un véritable lien entre l’école et le club parce que tous deux sont des lieux d’accomplissement humain et que nos sociétés ont grandement besoin que tous les acteurs socio-éducatifs travaillent ensemble.

On touche là à un des aspects de l’Héritage des Jeux. Vous en attendiez quoi et vous en attendez quoi ?

La première chose que j’ai envie de dire est que le mouvement sportif qui a voulu ces Jeux, qui a été un acteur majeur de leur obtention, doit être le premier concerné par l’héritage. J’ai cité la possibilité d’une taxe sur les paris sportifs, c’est encore du domaine du possible, j’avais tout fait pour qu’on hérite d’une fréquence radio sur la radio numérique terrestre, c’est raté et je n’ai pas envie de revenir sur les difficultés vécues ; reste le côté immatériel de l’héritage. J’avais rêvé d’un mouvement sportif plus autonome, plus responsable, plus en situation de confiance, un mixte entre le modèle sportif français et son homologue italien où le CONI est tout puissant.  Sans le CNOSF, il n’y aurait pas eu de candidature, il a été fidèle en cela à l’héritage de Pierre de Coubertin et entendait, parce que c’est une de ses missions fondamentales, assurer la promotion du sport et de l’Olympisme sur les territoires. On a fait confiance au mouvement sportif pour qu’il assure, y compris statutairement, le leadership tant de la candidature que du COJO, alors pourquoi ne pas aller plus loin en termes de responsabilités avec ce que cela implique en termes de droits et de devoirs ? Tout le monde sait que fin 2024, il n’y aura plus de COJO et qu’il y aura encore un mouvement sportif. C’est lui qui doit sortir renforcé des Jeux. Ce devrait être une obsession que de bâtir aujourd’hui ce que sera le mouvement sportif de demain, de voir comment il pourrait capitaliser sur un événement unique qui n’a lieu qu’une fois tous les cent ans, et là il y a péril en la demeure.

Cela a été dit précédemment, vous avez œuvré et obtenu une nouvelle gouvernance du sport validée par le Président de la République au cours de son premier quinquennat. Quelle était alors votre vision et quel bilan en tirez-vous aujourd’hui ?

La vision était simple : permettre aux 4 acteurs du sport : Etat (dans toutes ses dimensions notamment sociétales), Collectivités territoriales, mouvement sportif et monde économique de travailler plus efficacement en décidant ensemble plutôt que séparément. Après, la lettre de mission de la Ministre de l’époque prévoyait de créer une structure à gouvernance partagée et à responsabilités réparties. On a mis en place la gouvernance partagée avec l’ANS mais je pense que l’on n’est pas allé au bout de la répartition des responsabilités. C’est dommage car c’est selon moi une clé de la pérennité de l’ANS. Peut-être cela s’explique-t-il par les différentes résistances rencontrées un peu partout lors de sa mise en place ? Ce temps est désormais passé et l’interrogation doit porter sur la performance et le financement. La performance passera par une meilleure répartition des responsabilités et une association plus étroite avec les différents ministères, quant au financement, il faut raisonner et arrêter tant de penser que d’indiquer que seul l’Etat finance l’Agence et que de ce fait elle est le bras armé du Ministère des sports. Quand l’ANS aide au financement d’un emploi avec une dotation de 10 000 euros, il faut bien qu’il y ait d’autres contributeurs pour assurer l’emploi en question et c’est la même chose pour les équipements, et même pour la plupart des conventions d’objectifs des fédérations. C’est à la fois un besoin de logique et une nécessité pour aller dans le sens des responsabilités réparties qui seront sans doute effectives quand on acceptera l’idée d’une présidence tournante de l’ANS.

On ne peut pas terminer cet entretien sans évoquer les affaires qui secouent quelques institutions majeures. Vous l’avez dit dans votre tribune et avez proposé des solutions mais plus directement quelle est votre réflexion vue de l’extérieur ?

Je suis d’abord préoccupé par l’image renvoyée, je le suis aussi par la dispersion d’énergie qui s’en suit et cela rejoint les remarques exprimées sur l’unité du mouvement sportif et le caractère obsessionnel de l’héritage. J’ai souvent dit que les éclaboussures étaient partagées par tous alors qu’elles ne proviennent que de très peu de cas et c’est amplifié du fait de l’hypermédiatisation. Le mouvement sportif doit nécessairement s’interroger sur le fait que sa place n’est pas dans la rubrique des faits divers. Il faut créer les conditions du contrôle et de la régulation, et si possible de manière interne. Après, au-delà de l’aspect statutaire ou règlementaire, il y a aussi la nécessaire évolution des mentalités. Il n’est plus acceptable que soit d’usage que « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». Il faut en finir avec cette sorte d’omerta qui fait des dégâts incommensurables quand la vérité sort tardivement. On est à l’époque de Me Too, qui doit aussi s’appliquer au monde sportif pour protéger son futur. Si l’on doit veiller à la crédibilité des lanceurs d’alerte pour éviter les excès, il faut aussi faciliter leur expression, surtout vis-à-vis des comités d’éthique et de déontologie, et éviter qu’on les considère comme des parias au prétexte qu’ils dénonceraient des agissements jugés par eux comme incompatibles avec la mission sociétale de l’association. L’Institution est au-dessus des Femmes et des Hommes qui ne sont que de passage, c’est son intérêt qui doit primer en toutes circonstances, c’est en cela que nous en sommes les serviteurs.

partager
Twitter
LinkedIn
Facebook
Email
Imprimer
Cet article vous a-t-il été utile ?

à lire aussi

A quel point cet article vous a-t-il été utile ?

Cet artcile ne vous a pas été utile?

Newsletter Gratuite

Abonnez-vous à notre newsletter et recevez toute l'actualité des décideurs du sport.

Nous apprécions vos commentaires utiles !

N'oubliez pas de nous suivre sur nos réseaux sociaux.