Gouvernance et dérives : mieux armer le mouvement sportif ? par Denis Masseglia
Tribune de Denis Masseglia Président du Comité National Olympique et Sportif Français entre 2009 et 2021 publiée dans la Provence
L’actualité sportive récente, suite de turbulences au plus haut niveau de grandes institutions sportives, fait renaître le vieux serpent de mer qui porte le nom de ‘Gouvernance’. Durant trente années au sein du Comité National Olympique et Sportif Français, à presque tous les postes d’élus, y compris celui de président durant douze ans, je me suis souvent interrogé sur le système idéal, celui qui pourrait s’adapter à toutes les situations et éviter les problèmes.
J’en suis toujours arrivé à la même conclusion : à chaque fois qu’il y a une difficulté, on s’interroge d’abord sur la Gouvernance, puis sur l’Humain, alors que les systèmes ne sont jamais que ce que les Femmes et les Hommes en font.
Ce constat n’empêche nullement de réfléchir à la question fondamentale et d’actualité : Comment éviter ou prévenir les dérives en question ?
Première hypothèse : un contrôle externe
La première réflexion porte à regarder ce qui se fait dans certains domaines jugés sensibles où la loi française a acté la création d’Autorités de régulation. Il en existe 24, dites ‘indépendantes, 17 administratives et 7 publiques, ces dernières ayant une personnalité morale. Parmi ces ‘7, figure un nom familier du mouvement sportif, celui de l’AFLD ; (Agence Française de Lutte contre le Dopage), qui a la capacité d’agir tant en prévention qu’en sanction.
Nul ne peut nier que son rôle est essentiel sur un sujet qui ne l’est pas moins, tant les conséquences du dopage sont néfastes pour la santé des sportifs comme pour l’équité des compétitions.
Le dopage est un manquement caractérisé à l’Éthique du Sport, sans laquelle il n’y a plus de Sport.
Mais l’éthique et la déontologie ne se résument pas à la seule dérive du dopage et si l’AFLD est un régulateur au niveau des sportifs, il n’existe aucun régulateur similaire au niveau d’un éventuel manquement des dirigeants.
Ce ne sont pas les comités de déontologie actuels qui peuvent s’en charger, d’abord parce qu’ils ne peuvent être saisis que par (la) ou (le) Président(e) et qu’in fine, leurs pouvoirs sont assez limités.
Le rapport sur la gouvernance datant de 2018 faisait déjà la proposition d’une instance indépendante qui prenne en charge les manquements à l’éthique, une sorte de supra-comité de déontologie ; la loi qui a suivi ne l’a pas concrétisée.
Deuxième hypothèse : une régulation interne
La deuxième réflexion a trait à ce qui limite la capacité de régulation interne au mouvement sportif et l’ambition qu’il puisse lui-même régler ses propres difficultés, voire mieux, les prévenir. Cela revient à se poser la question de l’efficacité des outils actuels, en temps de crise, parmi lesquels deux essentiels : la saisine de la justice et la capacité de l’Assemblée générale à débattre et à décider.
Outre la complexité de la mise en œuvre judiciaire, notamment par le biais de l’article 40 du code de procédure pénale, il existe un vrai sujet de temporalité : le temps de la justice n’est pas le même que celui de la vie associative, et c’est un simple constat. Statuer sur le plan judiciaire présente dans le meilleur des cas un décalage qui se compte en années, surtout s’il y a appel et plus. Le traitement se fait donc, et c’est plutôt logique, par médias interposés, et c’est le plus souvent l’image du Sport, ainsi que celle des dirigeants sportifs, qui est mise à mal.
Il faut pouvoir traiter tout problème dans un délai raisonnable, ou à défaut en déterminer les probables conclusions judiciaires, à l’image de ce qui est fait aujourd’hui par la Conciliation du CNOSF. Ne devient-il pas nécessaire de faire évoluer la saisine, la structure, l’autonomie et le pouvoir des comités d’éthique et de déontologie actuels pour qu’ils puissent agir de manière équivalente ? Ils apporteraient ainsi un éclairage indispensable au traitement de toutes les situations délicates, concrétisé par un rapport annuel figurant au même titre que le rapport moral à l’ordre du jour de l’Assemblée générale.
Les dirigeants de clubs ont besoin de transparence et de confiance
Les Comités d’éthique et de déontologie, en modèle Conciliation, joueraient ainsi un rôle moteur auquel tous les militants attachés à l’engagement et à l’exemplarité seront sensibles. C’est parce qu’ils sont des centaines de milliers touchés et préoccupés par ce qui se passe ou se dit au plus haut niveau, qu’il devient urgent d’agir, de manière durable, pas simplement en réaction à une situation de crise.
Pour ne pas avoir la mémoire trop courte et oublier que les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est à la lumière des difficultés d’aujourd’hui qu’il faut agir de manière pérenne et durable. Il faut réfléchir à donner au mouvement sportif, en cas de risques de dérive éthique, financière, managériale ou autre, les moyens de s’autoréguler par une Assemblée générale d’autant plus souveraine qu’elle aura été éclairée par le rapport annuel des Comités d’éthique et de déontologie.
C’est parce que l’on parle beaucoup plus des trains qui sont en retard que de ceux qui sont à l’heure qu’il faut prévenir et éclairer à temps, plutôt que sanctionner en guérissant tardivement.
Alors, celles et ceux qui s’engagent en ayant à l’esprit que l’Institution est au-dessus des individus sauront agir pour le bien commun, fondement de la vie associative, faite d’abord de devoirs, et ensuite de droits.
Denis MASSEGLIA
Président du Comité National Olympique et Sportif Français entre 2009 et 2021
Cette tribune a été publiée dans la Provence du 17 février