Denis Masseglia : « Au-delà des jeux, ce qui compte le plus c’est ce qui restera de ces Jeux ».

La semaine dernière nous révélions que Denis Masseglia l’ancien président du CNOSF avait adressé un message au bureau et au déontologue de l’Assemblée Nationale pour demander sur quels critères avaient été basés les signalements pour parjure effectués par la présidente et la rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations sportives. Nous l’avons interviewé pour en savoir plus sur sa démarche et sa vision actuelle du sport Français.

 Denis Masseglia, vous avez adressé un mail la semaine dernière au bureau et au déontologue de l’Assemblée Nationale pour demander sur quels critères avaient été basés les signalements pour parjure effectués par la présidente et la rapporteure de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations sportives. Avez-vous eu un retour  ?

DM : Non, pas pour le moment, mais je n’ai pas l’expérience de ce type de démarche pour pouvoir dire quoi que ce soit sur le délai de réponse, en n’imaginant évidemment pas l’absence de réponse.

D’ailleurs vous aviez porté plainte au PNF contre Brigitte Henriques. Où en êtes-vous exactement ?

DM : Il y a effectivement des procédures judiciaires en cours. Me concernant, pour la première fois de ma vie, j’ai été amené à déposer une plainte. Je l’ai fait avec André Leclercq auprès du PNF et contre X pour abus de confiance dans la gestion du CNOSF.  La plainte date du 8 juin 2023, elle est bien enregistrée auprès du PNF où l’on m’a précisé qu’elle était en cours de traitement sans que j’en sache davantage sur le calendrier. Il y a, il est vrai, un décalage important entre le temps de la justice et celui de la vie civile en général. C’est un vrai sujet pour tous les secteurs d’activité.  Pour ce qui est du sport, tout au moins pour les sujets tels que les soupçons d’abus de confiance ou de favoritisme, on pourrait au moins s’interroger sur une éventuelle organisation spécifique, un peu à l’image de la conciliation dont je rappelle toujours avec plaisir qu’elle est menée bénévolement et qu’elle résout la plupart des cas posés.

A ce sujet quel est votre sentiment sur le travail effectué par la commission d’enquête sur les défaillance du sport Français et sur ses conclusions ? 

DM : Je suis comme beaucoup attentif à ce qui se passe et forcément préoccupé par le futur du mouvement sportif français. J’ai lu le rapport, il y a eu beaucoup de travail, notamment sur la question des violences. Le sport est dans la société, il ne peut être absent des différents maux de celle-ci. Pour autant il appartient au mouvement sportif de faire en sorte que la prévention soit effective et efficace. Je suis convaincu par exemple qu’il faut être très vigilant avec le bizutage, certaines pratiques pouvant être assimilées à des violences, y compris dans des centres nationaux. La prévention commence par ne pas banaliser toute forme d’humiliation surtout pour les plus jeunes. La commission préconise aussi, tout comme la commission Buffet-Diagana, la création d’une autorité indépendante supra fédérale garante de l’éthique. Je me permets une réflexion : si cette autorité voit le jour, elle pourrait être soumise rapidement à engorgement et il est tout à fait possible qu’elle ait à statuer sur de nombreux cas qui auraient pu être traités par une commission d’éthique fédérale.  Pourquoi ne pas renforcer les capacités d’action de ces dernières en par exemple les dotant d’un vrai pouvoir disciplinaire, en permettant une saisine plus large par tout membre de la fédération, personnalité physique ou morale, comme c’est notamment le cas à l’Athlétisme, et en fixant, dans l’ordre du jour de l’AG fédérale annuelle, un point intitulé : rapport de la commission d’éthique ? On pourrait juste imaginer que l’autorité indépendante puisse être saisie soit comme une commission d’appel pour les cas délicats où la décision de la commission d’éthique serait contestée par l’une des parties concernée, soit si la commission d’éthique fédérale souhaitait elle-même transférer le dossier à l’autorité indépendante. 

Et en ce qui concerne ce serpent de mer qui ressurgit régulièrement, la gouvernance des fédérations ?

DM : La première réflexion qui me vient est celle d’une profonde frustration quant à la réalité des événements et la manière dont ils sont perçus. Quand il s’est agi en 2020 de discuter avec les députés porteurs du projet de loi sur la gouvernance des fédérations sportives, nous avons travaillé en concertation et de manière je crois efficace. Juste avant l’étude au parlement, nous avons adopté en congrès exceptionnel du CNOSF, avec une forte participation des fédérations membres et à près de 80% pour les votes, certaines résolutions que je considère comme spectaculaires et novatrices : limitation du nombre de mandats des présidents à 3, ce qui fait 12 ans, c’est à dire l’équivalent de 2 mandats de maire ou de 2,5 de députés, votes en AG fédérale par les clubs au moins à 50% et enfin parité dès 2024 pour la très grande majorité des fédérations en demandant un décalage à 2028 pour celles, peu nombreuses, ayant un déséquilibre marqué dans la répartition des licences féminines et masculines. La ministre de l’époque n’a pas accepté ce dernier point qui pourtant avait eu l’accord des députés et nous avons alors subi une communication des plus négatives. Alors que l’on aurait dû être perçus comme novateurs et dynamiques avec nos propositions,  nous l’avons été comme inertes et improductifs.  Pourtant, demander 4 ans de plus pour imposer à une fédération ayant moins de 5 % de licences féminines d’appliquer la parité totale me semblait relever du bon sens. On a malheureusement été présentés comme s’opposant au principe de parité et de ce fait rétrogrades.

Dommage par ailleurs que l’on ne souligne pas que le CNOSF a mis dans ses statuts une limitation d’âge pour être élu, c’est pourtant assez exemplaire.

Après, les systèmes ne sont jamais que ce que les hommes et les femmes en font et personnellement je suis plus préoccupé par la multiplication des contraintes qui sont comme d’autant de handicaps aux vocations de dirigeants bénévoles, et ce même si un projet de loi  promeut la notion de simplification. Le bénévolat ne se décrète pas, il correspond à une envie, celle de bien vouloir, et le bénévole est d’abord préoccupé par la reconnaissance de la cause pour laquelle il s’engage et c’est vrai quel que soit le domaine d’activité du bénévole.

Justement qu’est-ce qui aurait pu être fait qui puisse être un signe fort pour les bénévoles du sport ?

DM J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, qui ne coûte pas cher et peut rapporter gros, à savoir le lien entre l’école et le club sportif. En résumé si l’on pouvait inscrire dans un acte officiel que la pratique d’un sport dans un club fédéré contribue à l’éducation d’un jeune et à son apprentissage de la vie et de la citoyenneté, je suis sûr que ce serait la plus belle des formes de reconnaissance du bénévolat sportif.

Après, il est impossible d’échapper à une discussion sur le financement du sport, notamment au niveau national. Il y a eu des progrès sensibles avec la dotation globale de l’ANS et le pass’sport mais il y a aujourd’hui un nouveau phénomène avec l’explosion des paris sportifs, notamment en ligne. Le produit brut des paris sportifs atteint le milliard et demi d’euros et on peut quand même se poser légitimement la question que le sport français puisse être financé par une taxe non plafonnée sur les paris sportifs, une sorte de juste retour avec le sport qui finance le sport. L’héritage des jeux ou la grande cause nationale auraient pu être l’occasion de le faire, tout au moins de l’évoquer. Dommage !

A propos des Jeux, vous avez été un acteur majeur de leur obtention, comment voyez-vous la suite ?
DM : J’en ai été un acteur au même titre que d’autres et j’ai toujours, quand on évoque les Jeux, une pensée affective pour Bernard Lapasset qui malheureusement n’est plus. Sur le plan sportif je suis confiant : je crois vraiment qu’on peut battre le record de médailles d’or (15 à Atlanta) et figurer dans le Top 5 ou 6 des Nations. Après, au-delà de la célébration et de la performance, il y a le futur du mouvement sportif français. Je crois en effet pouvoir dire que sans lui, il n’y aurait pas eu Paris 2024 ni candidature, ni succès. En sortira-t-il renforcé alors que c’était quand même un de ses objectifs? J’avais sans doute la faiblesse de penser au moment où le CNOSF s’est lancé dans l’aventure 2024 que cela allait permettre au mouvement sportif d’être au cœur du projet ambitieux de faire de la France une Nation sportive. En fait le projet sur lequel nous avons travaillé en 2013 et approuvé très largement en congrès avait pour objectif de faire passer la France d’une Nation de sportifs à une Nation sportive. Dis comme cela, on comprend davantage qu’il y a un chemin à parcourir et qu’il peut être différent selon l’idée que l’on a de ce que peut être une Nation sportive.


C’est quoi pour vous une Nation sportive ?

DM : Difficile de répondre en quelques lignes. J’y ai consacré un livre « le sport c’est plus que le sport » écrit en 2013 avec Pascal Boniface. Et c’est bien cette vision qui m’anime. Pour moi, une Nation sportive est  une Nation qui place le sport au coeur d’un projet de société, une société  au sein de laquelle tous les décideurs, qu’ils soient politiques, économiques, médiatiques ou pédagogiques, sont sensibilisés et sensibles à la cause sportive. Le sport est transversal, il contribue à l’éducation, à la santé, au lien social, à l’économie et bien sûr au rayonnement du pays. J’ai découvert le concept de littératie physique en lisant « décideurs du sport », cette idée que l’activité physique et sportive fait partie de toute la vie des Français est séduisante, j’y rajoute l’importance de commencer tôt car pour moi c’est auprès des Jeunes que le message est le plus important.  On pourra quand même voir si les Jeux ont eu un impact sur les décideurs en regardant si le sport, et j’ai bien dis sport et pas simplement activité physique, fait partie intégrante des différents programmes des candidats aux prochaines élections présidentielles, ce qui serait déjà une satisfaction.

Et le modèle sportif français ?

DM : Celui dont beaucoup ont dit que le monde entier nous l’enviait, ce à quoi j’ai toujours ajouté « sauf que personne ne l’a imité ». Heureusement selon moi, et l’attribution des Jeux y a évidemment contribué, le modèle a évolué avec la création de l’ANS, modèle de gouvernance partagée. On n’a malheureusement pas été au bout de la démarche prévue en omettant la deuxième partie du projet, à savoir les responsabilités réparties. Je n’étais pourtant pas le seul à penser qu’on est plus intelligents à plusieurs et plus mobilisés si on décide collectivement. Je sais qu’on reproche à l’ANS d’être confusante et de n’être financée que par le seul Etat. La confusion ne serait pas, notamment au niveau territorial, si on avait accepté de répartir les responsabilités. Quant au financement, il faut juste accepter le fait par exemple qu’un projet d’équipement, est financé seulement à 20 ou 25% par l’ANS. Et c’est la même chose pour les emplois sportifs, les événements internationaux et même les politiques de développement ou de Haut niveau de certaines fédérations. Les financements croisés nécessaires à la réalisation des projets n’abondent pas au budget de l’ANS. C’est juste une question de présentation et de définition de « Comment se fait le financement du sport ? ».  Nous verrons bien ce que l’après-Jeux réserve à ce modèle à gouvernance partagée qui a soulevé dès le début l’opposition des services de l’Etat. L’ANS sera-t-elle ou pas d’actualité ? Si oui sera-elle le bras armé du sport français ou du Ministère, ce qui n’est pas la même chose ?

En conclusion qu’attendez-vous de Paris 2024 ?

DM : 2024 sera l’année de célébration des Jeux Olympiques et Paralympiques. Les Jeux sont importants pour les athlètes, les fédérations, les fans et bien sûr le pays. Mais au delà de l’événement, ce qui compte le plus c’est ce qui restera de ces Jeux : au niveau français, les vocations qu’ils susciteront auprès des Jeunes, la dynamique qu’ils créeront pour les clubs et les fédérations, l’envie que soit plus importante la place qu’aura le sport dans la société et puis plus généralement que ces Jeux marquent un nouvel élan pour le mouvement olympique qui a souhaité faire du mot ensemble l’un des piliers de son message universel.

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