Pour la Cour des comptes, l’avenir des stations de montagne est compromis par leur « ski-dépendance » Pierre-Philippe Bureau

Un article signé Pierre-Philippe Bureau

Bénévole associatif

SI la mission de la Cour des comptes est « de s’assurer du bon emploi de l’argent public et d’en informer les citoyens » ses études thématiques dépassent le seul champ financier.

Parmi les constats du rapport…

Les Alpes françaises, 2e destination mondiale : avec 53,9 millions de journées-ski, dont 30% d’étrangers.

Une diversité des stations : 54 % de petite taille (-2500 km skieurs par heure), 16 % de taille moyenne, 21 % de grande taille et 7 % de très grandes stations (+ de 15 000 km skieurs par heure). Les 95 plus grandes stations réalisent 90% de chiffre d’affaires total et une majorité d’entre elles n’atteint qu’un « petit équilibre comptable » (les recettes d’exploitation couvrent les seules dépenses courantes) et même les plus rentables doivent opérer des arbitrages forts sur leurs projets.

Une gouvernance complexe et éclatée entre acteurs publics les collectivités en charge du « service public industriel et commercial » (gestion déléguée ou en régie des pistes et remontées), mais aussi de la promotion (offices de tourisme) et acteurs privés (logement, services, commerces…).

Un modèle économique fortement capitalistique : le chiffre d’affaires génère le résultat d’exploitation permettant de financer les investissements longs (amortissement 15 ans) qui demeurent centrés sur le renouvellement des équipements ou la production de neige. Il reste porté par la croissance du nombre de lits (Plan neige) ou des « résidences de tourisme » (+267% entre 1995 et 2015) dopée par les mécanismes de défiscalisation et aux piètres qualités d’habitabilité (50% de « passoires énergétiques).

Des outils d’analyse trop limités. Le ratio 1/6 généralement utilisé (1€ dépensé dans les forfaits correspondrait à 6€ de dépenses par séjour : logement 1,8€ ; alimentation 1,56 ; matériel-locations à,50€, cours 0,12€) est fortement remis en cause par des études locales où il serait plutôt de 1 pour 4-5€ et son application trop systématique ne tient pas compte des spécificités ni des dépenses indirectes (voiries, transports collectifs, contributions des collectivités aux services, etc. Il est souvent appliqué sans tenir compte des évolutions financières qui ne sont pas toutes interdépendantes (tarifications, inflation, etc.), de la grande variabilité saisonnière (hors/pendant les vacances scolaires), de l’éclatement des retombées (commerce local, propriétaires non-résidents).

Les constats actuels

Une baisse de fréquentation hivernale durable. Selon le rapport, les stations sont entrées depuis plus de 10 ans dans unephase de décroissance après avoir atteint un sommet de 58,6 millions journées/skieurs en 2010 (53,9 en 2022) qu’elle explique par :

  • les incertitudes sur l’enneigement,
  • le vieillissement (et le non-renouvellement) de la clientèle,
  • la chute des séjours collectifs (classe de neige, stages étudiants)
  • une offre de logements vieillissante (2,7 millions de lits touristiques),
  • et désormais la question environnementale.

Les augmentations tarifaires et le recours au financement public ont permis de continuer la croissance du chiffre d’affaires malgré la baisse de fréquentation. Si la Cour des comptes avoue ne pas disposer « de données consolidées additionnant l’ensemble des aides publiques perçues directement ou indirectement par les exploitants », elle estime cette aide publique à ¼ du chiffre d’affaires annuel des stations (hors investissements que la Cour s’avoue aussi incapable à évaluer) ce qui pose des problèmes juridiques (les SPIC doivent se financer par la tarification du service), financiers (lorsque les collectivités se portent garantes d’emprunts) et de pertinence (transfert de la charge au contribuable).

Le plan Avenir Montagne (331 M€ du Plan de relance post-covid 2021-2022), malgré ses priorités de « moyen terme » (diversification de l’offre touristique et conquête de nouvelles clientèles ; transition écologique des activités touristiques; enrayer la formation de lits froids), et en raison de sa mise en œuvre « accélérée », a abouti à une trop grande dispersion des crédits d’investissement et une priorité donnée « à des projets déjà prêts dans les services » et donc peu réinterrogés au regard des mutations nécessaires. Seul le soutien à l’étude Climsnow peut être considéré comme un financement stratège.

Des stratégies actuelles trop adaptatives Le rapport procède à une longue analyse de la production de neige (inadéquation par rapport aux perspectives climatiques et impact sur la ressource en eau) et aux stratégies de restructuration/extension des domaines (altitudes, versants) ou encore aux limites financières (voire échecs) de certaines tentatives de diversification (luge d’été, balnéothérapie). Il omet par contre d’autres enjeux de transformation comme ceux portés par Domaine skiable de France (réduction des émissions, biodiversité, gestion de l’eau…).

Il déplore que les stratégies centrées sur l’adaptation des activités de ski (environ 80% des financements des plans régionaux) et celles de diversification des activités (-20%) soient le plus souvent juxtaposées (y compris dans leurs financements) et conduites par des acteurs différents (sauf pour l’optimisation de l’utilisation des remontées mécaniques). L’absence de véritables projets de territoires, de concertation entre les acteurs publics/privés ou d’opérationnalisation suivie empêche d’envisager les transformations autour d’un projet stratégique.

Avis et recommandations

Au fil du rapport, on peut retenir…

  • la proposition d’un outil pour apprécier la vulnérabilité des domaines selon 3 critères : l’exposition au risque climatique (enneigement/fréquentation, fonte du pergisol/dommages structurels), le poids socio-économique (impact de la perte d’activité « ski » sur le territoire) et la capacité financière (autorité organisatrice des remontées mécaniques et acteurs publics locaux) ;
  • la nécessité d’un observatoire national des données de vulnérabilité ;
  • le besoin d’une gouvernance et d’une stratégie dépassant les seuls acteurs des sports d’hiver pour réduire l’éclatement actuel (commune : autorité organisatrice du service public des remontées mécaniques ; syndicats mixtes dédiés ; interco : promotion touristique, aménagement du territoire ; départements : solidarité territoriale ; région : aide économique, schémas directeurs d’aménagement) ;
  • le nécessité de réarmer les collectivités (généralement petites communes) face à la puissance des délégataires,
  • le réinterrogation des modes de délégations (souvent trop ciblées sur 1 activité/prestation au détriment des stratégies de territoires) et le manque de concurrence entre les délégataires (concessions trop longues en raison du poids des investissements) ;
  • le souhait d’une meilleure solidarité financière (par la création d’un fonds d’adaptation alimenté par une taxe remontées mécaniques) et entre collectivités ;
  • le conditionnement de tout soutien public à l’investissement à l’adéquation du projet au plan d’adaptation au changement climatique.

Chargée du contrôle des finances publiques, on s’étonnera néanmoins de la faiblesse des propositions de la Cour pour réduire les effets de la financiarisation (durée des amortissements, fiscalité, règles de délégations, etc.) et apporter des propositions concrètes pour promouvoir des financements publics sur le long terme qu’exigent les enjeux décrits.

Le rapport de la cour des comptes

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