Le projet de loi 4 D fait-il l’impasse sur les sports d’eaux vives ? par Bernard Jacquot
Dans le projet de loi « 4D » ( différenciation, décentralisation, déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale), l’article 73 bis prévoit un article additionnel L. 311‑1‑1 à l’article L. 311‑1[1] du code du sport, ainsi rédigé :
« Art. L. 311‑1‑1. – Le gardien de l’espace naturel dans lequel s’exerce un sport de nature n’est pas responsable des dommages causés à un pratiquant sur le fondement du premier alinéa de l’article 1242[2] du code civil lorsque ceux‑ci résultent de la réalisation d’un risque inhérent à la pratique sportive considérée. »
Cet article, adopté en première lecture au sénat, est renvoyé à la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. A lire Le propriétaire (ou gardien ) d’un espace naturel ne pourra plus voir sa responsabilité engagée en cas d’accident survenu à un pratiquant
Une bonne nouvelle pour l’escalade, une moins bonne pour les sports d’eaux vives
Cette perspective d’évolution législative est une excellente nouvelle pour l’escalade en milieu naturel. En effet, on se souvient des conséquences juridiques et financières de l’accident de Vingrau en 2010. A l’issue de 9 ans de procédure, la Cour d’appel civile de Toulouse, a reconnu la responsabilité de la FFME au titre de gardien que lui confère les conventions passées avec les propriétaires.
Par contre, il convient de s’interroger – pendant qu’il en est encore temps – s’il en est de même pour d’autres activités, dont le cadre juridique diffère, notamment pour les sports de pagaie et la navigation en rivière. Cette évolution est-elle une menace ou une opportunité pour la FFCK, ses clubs affiliés et les structures professionnelles qui exploitent les rivières pour des prestations d’encadrement et de location[3]
La responsabilité de l’entretien des rives et du lit des rivières dépend du statut du cours d’eau.
A ce jour, la responsabilité de l’entretien des rives et du lit des rivières dépend du statut du cours d’eau.
- en dehors du domaine public fluvial (DPF), l’obligation d’entretien des cours d’eau (lit et berges) incombe aux propriétaires riverains en application des articles L 215.14 et suivants du Code de l’Environnement et de l’article 114 du Code Rural ;
- lorsque le cours d’eau est domanial, c’est l’État (DDT) qui assume l’obligation d’entretien du lit, à l’exception de l’entretien des berges qui reste à la charge des riverains.
L’article L 215.14 du Code de l’Environnement précise que l’entretien comprend les opérations relatives à l’enlèvement des embâcles (arbres…), des débris divers et d’atterrissements (rochers, sédiments…), dans l’objectif de maintenir l’écoulement naturel des eaux. Les opérations d’entretien doivent être conduites dans le respect de la Loi sur l’Eau et du Code de l’Environnement, pour éviter de dégrader les conditions d’écoulement à l’amont et à l’aval et pour garantir le respect des équilibres du milieu aquatique.
L’article L 211-7 du Code de l’Environnement donne la possibilité aux collectivités locales ou aux groupements de communes, de se substituer aux propriétaires riverains défaillants à la condition qu’elles disposent d’une Déclaration d’Intérêt Général pour pouvoir intervenir sur des parcelles privées.
Si aucune intervention n’est effectuée de la part des riverains et que la collectivité ne souhaite pas se substituer aux obligations d’entretien de ces derniers, le Code de l’Environnement permet au maire ou à la collectivité de faire procéder aux travaux à la charge des riverains.
En cas de danger présentant un caractère d’urgence, le Code de l’Environnement prévoit (article R 214-44) que les travaux soient entrepris sans que soient présentées les demandes d’autorisation à condition que le Préfet en soit immédiatement informé. Le caractère d’urgence est limité aux cas de dangers imminent (crue, pollution…) et à leurs conséquences.
Bon nombre de propriétaires riverains, n’entretiennent plus les rives
En outre, il est reconnu maintenant que bon nombre de propriétaires riverains, n’entretiennent plus les rives avec des conséquences parfois importantes : risques d’accidents dans les pratiques de canyoning et de canoë kayak lorsque des arbres tombent en travers du lit ; création de bouchons obstruant le lit et pouvant générer une brusque montée des eaux lors de la rupture. Et ils ont d’autant moins d’envies de le faire que les budgets sont parfois très élevés. Il en est d’ailleurs de même pour les services de l’État.
Une évolution législative qui encouragerait les riverains à ne pas entretenir les rives ?
Dans ce contexte, il convient de s’interroger sur les éventuels conséquences que pourraient avoir l’évolution de l’article L.311-1-1 du code du sport, sur les sports d’eau vive pratiqués en rivière. Cette évolution législative ne risque-t-elle pas de conforter les propriétaires riverains qui n’entretiennent pas les rives ? La charge de l’entretien des rivières (donc de l’enlèvement des arbres tombés) ne risque-t-elle pas d’être reportée sur les usagers ? (Canyonistes, kayakistes, pêcheurs) ? Personnellement je n’ai pas pour l’heure réponse à ces questions. Mais elles méritent d’être portées au niveau de la Commission des lois.
Bernard Jacquot Professeur de sport, conseiller technique, retraité
[1] Art. L. 311-1 du Code du sport : « Les sports de nature s’exercent dans des espaces ou sur des sites et itinéraires qui peuvent comprendre des voies, des terrains et des souterrains du domaine public ou privé des collectivités publiques ou appartenant à des propriétaires privés, ainsi que des cours d’eau domaniaux ou non domaniaux. »
[2] Art. L. 1241 du Code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde. »
[3] Rappelons que selon la décision n° 330614 du Conseil d’État, les loueurs de canoë-kayak sont considérés comme des « établissements organisant la pratique des activités physiques et sportives » au sens des articles L 322 du Code du sport.