Source : france stratégie Le gouvernement s’est fixé pour objectif 3 millions de pratiquants d’activité physique et sportive supplémentaires d’ici aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024. Un chiffre a priori accessible au regard de l’existant – la France compte déjà 34 millions de pratiquants –, qui n’en est pas moins ambitieux. Vie de bureau, loisirs passifs, déplacements majoritairement motorisés… en France, la sédentarité progresse : près d’un Français sur deux déclare ainsi « ne jamais pratiquer » d’activité sportive. C’est un sur trois en Allemagne et un peu plus d’un sur dix seulement en Finlande. Pour faire mieux, c’est d’une « stratégie de mise en mouvement » dont la France a besoin, explique Virginie Gimbert dans ce rapport commandé par le Premier ministre à France Stratégie. Il s’agit de banaliser l’activité physique et sportive, d’en faire une routine de vie plutôt qu’un objectif de dépassement de soi. Et ce, pour toutes et tous à chaque âge de la vie. Un objectif qui suppose de revoir non seulement nos représentations collectives mais aussi nos modes de vie.
Pratiquants et non-pratiquants
C’est un fait, le sport s’est démocratisé. Le nombre de licenciés est passé de 2 millions en 1950 à plus de 16 millions en 2016. Surtout, les pratiques se sont désinstitutionnalisées et hybridées. On ne s’inscrit plus nécessairement en club pour la compétition, mais on pratique chez soi, en pleine nature, occasionnellement, en prenant le vélo pour aller travailler, ou encore « sur ordonnance ». Pour autant certaines inégalités (d’accès) ont la vie dure. Parce qu’elles ont sensiblement moins de temps de loisirs que les hommes et que les stéréotypes de genre jouent dès le plus jeune âge, les femmes et les jeunes filles pratiquent moins : en 2015, l’écart avec les hommes reste de 5 points de pourcentage. L’appartenance sociale est aussi un marqueur fort : plus de la moitié des cadres sont sportifs contre un tiers des ouvriers.
« Compétiteurs », « pulsionnels », « utilitaristes » ou « abandonnistes », au-delà des statistiques qui concernent le plus souvent le niveau d’activité, on observe une grande diversité des profils de pratiquants. C’est ce que montre l’enquête qualitative de Kantar Public sur les pratiques physiques et sportives des Français réalisée pour le rapport. Dix profils types s’en dégagent, classés selon le degré d’automatisme de leurs comportements et leur rapport à la pratique sur une échelle contrainte-plaisir. Pratique et non-pratique ne sont pas pour autant des états figés mais alternent souvent suivant des trajectoires marquées par les étapes clés de la vie. Entrée au lycée et/ou en études supérieures pour les jeunes, parentalité pour les actifs – surtout les mères – marquent typiquement des moments de décrochage liés au « manque de temps », quand le départ des enfants du foyer ou la retraite peuvent à l’inverse constituer des moments propices à la reprise d’une activité, voire au commencement.
Reste que, si le sport se démocratise, l’activité physique au sens large – le mouvement pourrait-on dire –, elle, recule. 2 % des trajets domicile-travail se font aujourd’hui à vélo contre plus de 10 % en 1970. Trois-quarts des trajets inférieurs à 5 kilomètres sont effectués en voiture et le temps moyen passé assis tourne aujourd’hui autour de douze heures lors d’une journée de travail. Or la sédentarité n’est pas une bonne nouvelle, ni pour la santé (physique) ni pour le bien-être (psychologique). Une estimation partielle évalue par exemple à 7,7 milliards d’euros les gains qui pourraient être obtenus en termes sanitaires si l’ensemble des Français avait un niveau de pratique satisfaisant.
Qu’est-ce qui freine l’activité ?
Mais pourquoi les Français ne « bougent » pas davantage ? Peut-être d’abord à cause de l’image qu’ils se font de l’effort. « Le sport a longtemps été associé, dans l’imaginaire collectif, à la compétition et à la performance, à la sueur et au dépassement de soi, ainsi qu’à un univers essentiellement masculin », explique Virginie Gimbert. Un idéal – porté par le sport de haut niveau – loin d’être accessible au plus grand nombre et que les injonctions à « bouger plus » pour être en meilleure santé n’infléchissent pas nécessairement.
Gymnases, piscines, skate parc, pistes cyclables…, « le fait de disposer d’un environnement favorable, d’installations ou de la possibilité de s’inscrire dans la discipline de son choix à proximité contribue largement à une pratique régulière », souligne l’auteure. Un argument qui semble frappé au coin du bon sens mais qui n’est visiblement pas toujours entendu. Deux exemples pour s’en convaincre : en matière d’aménagement du territoire d’abord, les difficultés pour circuler à vélo en ville en sécurité sont telles que les enfants et les seniors se trouvent de fait exclus ; en matière d’offre d’activités ensuite, beaucoup de municipalités attribuent encore la priorité aux sports de compétition susceptibles de rapporter des résultats à la ville, aux dépens des sports pour tous et toutes qui, avec peu de créneaux, sont vite saturés.
Du côté des contraintes personnelles, les freins majeurs sont le manque de temps et de motivation, cités respectivement par 40 % et 20 % des Français interrogés sur leurs (non-) pratiques sportives. Des réponses qui recouvrent, sous-jacents, des facteurs de démobilisation allant de la (grande) fatigue au poids des routines et des habitudes de vie (qui s’installent souvent dès l’enfance), en passant par notre rapport au corps et les expériences de sexisme vécues par les jeunes filles et les femmes dans le milieu sportif et l’espace public – expériences que confirment les entretiens de l’enquête qualitative.
Une stratégie de mise en mouvement
Comment lever ces freins ? Le rapport de Virginie Gimbert plaide pour une stratégie nationale portée à un niveau interministériel qui s’articulerait autour de quatre orientations : faire évoluer nos représentations collectives, inscrire l’activité physique et sportive dans nos temps quotidiens, repenser nos espaces de vie, et renforcer les actions ciblées vers les publics les plus éloignés de la pratique. Objectif : banaliser l’activité physique, en faire une routine, l’inscrire dans nos mobilités ordinaires et nos temps sociaux à chaque âge de la vie.
Première étape : communiquer. Moins sur le mode injonctif (et potentiellement culpabilisant) du « bouger plus » que de manière bienveillante sur les bienfaits immédiats – bien-être et plaisir – des activités physiques, leur diversité et leur simplicité d’accès. Il s’agit de « créer de la proximité plutôt que de faire rêver », résume l’auteure. Dans cette perspective, les meilleurs ambassadeurs d’une telle campagne de sensibilisation publique seraient des gens ordinaires, femmes et hommes de tous âges et de toutes morphologies, plutôt que des sportifs de haut niveau. Au niveau local, il s’agirait d’améliorer l’accès à l’information sur l’offre d’activités disponible, avec pour relais médecins, enseignants, travailleurs sociaux et employeurs, et de sensibiliser davantage les acteurs sportifs et municipaux sur l’intérêt collectif à prioriser le sport bien-être.
Pour inscrire l’activité physique dans notre quotidien, il faut aussi rendre nos temps sociaux plus « perméables » à cette activité. Comment ? À l’école pour commencer, là où se construit socialement le goût pour l’activité physique, apprendre aux enfants à pédaler comme ils apprennent à nager, piétonniser les abords des établissements, remettre au goût du jour les pédibus, développer une offre d’activités péri et extrascolaires davantage orientées vers le plaisir et le jeu que vers la compétition, ou encore, sur le modèle du programme finlandais « Move », mettre les enfants en mouvement en classe, un moyen non seulement d’augmenter leur temps d’activité mais aussi d’améliorer leurs apprentissages. Parking vélo, vestiaires et douches sur place, réunions en station debout, pauses actives… le lieu de travail devrait être ensuite pourvoyeur d’opportunité ou d’incitations à l’activité, au regard des bénéfices attendus en termes de santé au travail. Dans cette perspective, le rapport invite les partenaires sociaux à mettre le sujet à l’ordre du jour des discussions qui se tiendront dans le cadre du prochain accord national interprofessionnel, en vue de la future loi sur la santé au travail.
Troisième piste : repenser nos espaces de vie, les lieux de pratique et leur place dans la ville pour créer un « écosystème » propice au mouvement. En commençant par mobiliser autrement l’existant : ouvrir au grand public les équipements sportifs des établissements scolaires durant les vacances et les week-ends, étendre les horaires d’ouverture des équipements sportifs municipaux, mobiliser les espaces publics disponibles (parcs, friches, places…) pour y installer, au cœur des villes et ouverts à tous, des parcours santé, des paniers de basket, des physioparcs à destination des personnes âgées comme à Lyon, ou encore des « hub sportifs » multipublics sur le modèle berlinois de l’« Aktivplatz ». Les nouvelles installations sportives, quant à elles, devraient être prévues par les schémas d’urbanisme comme une nécessité et pensées ouvertes sur l’espace public et accessibles à tous. Au-delà, il s’agit surtout de rendre nos villes « marchables et cyclables ». Un objectif dont la France est encore loin : à Copenhague, la part du vélo dans les déplacements tourne autour de 30 % à quasi-égalité avec la voiture ; à Strasbourg, la ville française qui affiche le score le plus élevé, ce chiffre n’est encore que de 15 %. « Ces mobilités actives s’accompagnent [pourtant] de bénéfices en termes de santé – physique comme mentale –, d’autonomie et de bien-être pour les individus », insiste l’auteure.
Enfin parce que certains publics spécifiques sont très éloignés de la pratique, Virginie Gimbert préconise de développer des offres adaptées aux personnes ayant un problème de santé ou de handicap, et de renforcer la mixité des pratiques dès le plus jeune âge pour promouvoir l’égalité femmes/hommes. Autant de préconisations qui n’ont de sens que déclinées à l’échelon local en impliquant tous les acteurs – des secteurs du sport, de l’éducation, de la santé, de l’équipement, de l’environnement et de l’aménagement du territoire – et… les habitants ! Sur le modèle des projets pilotes du programme britannique « Transforming the delivery of physical activity locally » par exemple.
Modes de vie, mobilités, articulation des temps et représentations collectives, c’est donc moins de grands équipements dont nous avons besoin pour nous mettre en mouvement que d’un véritable changement de paradigme.
Dossier de présentation – Activité physique et pratique sportive pour toutes et tous (PDF – 3.51 Mo) Rapport – Activité physique et pratique sportive pour toutes et tous (PDF – 1.43 Mo) Rapport d’étude qualitative de Kantar Public – Trajectoires individuelles d’activités physiques et sportives (PDF – 2.13 Mo)