L’acceptabilité populaire des Jeux : les Alpes 2030 suivront-elles Paris 2024 ? par Pierre Philippe Bureau
Une analyse intéressante sous la plume d’Olivier Le Noé et Igor Martinache (STAPS Paris Nanterre) décrypte les conditions qui ont permis l’acceptabilité publique qui se dégage pour les Jeux de Paris 2024[1]. (Martinache I., Le Noé O. « Les Jeux de Paris 2024, une cause sans adversaires ? », Cahiers d’histoire, n°158, 2023.)
Dans une première partie, ils détaillent comment les porteurs du projet (Lapasset, Estanguet, Thobois…) ont su médiatiser le discours d’une « bonne cause », alors qu’auparavant « les dirigeants [sportifs ou politiques] trop âgés et éloignés des terrains de sport » avaient fait échouer les candidatures. Si Paris 2024 n’a peut-être pas convaincu que les Jeux étaient désirables au-delà de ceux qui y croyaient déjà, ses promoteurs ont probablement permis de les rendre acceptables, comme Londres l’avait fait bien avant 2012, par « un travail de conviction et d’alignement des intérêts ».
Dans une seconde partie, ils analysent les courants qui se sont ou auraient pu s’y opposer. Les tenants de la critique radicale du sport (quelques tribunes de J-M. Brohm et ses héritiers), les défenseurs d’un vote démocratique préalable (étouffés par les sondages des commanditaires), les opposants à la marchandisation du sport (sans empêcher la sélection des relayeurs de la flamme ou du « marathon populaire » par les sponsors majeurs), les défenseurs de l’environnement (entendus sur l’impact de certains aménagements ou le manque de transports), des libertés individuelles (alarmés par la généralisation des moyens de surveillance), des conditions de travail (dénonçant certaines sous-traitances voire l’emploi de sans-papiers sur certains chantiers) ou encore ceux touchés par des effets collatéraux (des organisateurs des festivals culturels d’été contraints à l’annulation)… Et les universitaires de conclure que si « plusieurs fronts d’opposants ont bien émergé [et] ont bénéficié d’une certaine couverture médiatique », leurs mobilisations sont « demeurées cloisonnées (…) faute d’un référentiel commun ou d’un réseau élargi d’alliés ».
À la lumière de cette analyse, on peut s’interroger sur les premiers pas de la candidature des Jeux d’hiver de 2030 en France. L’initiative soudaine au cœur de l’été 2023a certes permis la présélection du dossier par le CIO. Toutefois, l’opacité de la démarche et des premiers arbitrages[2], l’argument répété de l’utilité des Jeux pour réparer le passé[3], ou encore les actions[4] ou propos[5] visant les opposants semblent se démarquer de la volonté rassembleuse inlassablement répétée par Tony Estanguet et son équipe. Alors que le circuit international des sports d’hiver cumule les annulations d’épreuves, des collectifs d’opposants, et avec eux quelques anciens champions[6], commencent à se faire entendre. En réponse, la parole du CIO, pour qui les investissements pour 2030 seront amortis « en 2050, quand il y aura encore de la neige en France » semble éloignée des préoccupations actuelles.
Si Paris 2024 a probablement convaincu avec son slogan des Jeux pour mettre « plus de sport dans le quotidien des Français », expliquer que les Jeux dans les Alpes en 2030 seront « bon pour transition » risque d’être plus difficile.
Pierre-Philippe Bureau Bénévole associatif
[1] Martinache I., Le Noé O. « Les Jeux de Paris 2024, une cause sans adversaires ? », Cahiers d’histoire, n°158, 2023.
[2] « Jean-Claude Killy « très optimiste » sur les chances de Val-d’Isère de réintégrer la carte des sites des JO d’hiver 2030 », L’Équipe, 19/01/2024.
[3] « Nous allons aussi avoir une loi d’exception qui permettra d’améliorer la situation routière et ferroviaire sur l’ensemble de notre territoire (…) Ces moyens financiers viendront nourrir un territoire qui a été abandonné pendant des dizaines d’années et qui demain va avancer grâce aux Jeux Olympiques. » R. Muselier, Alpes 1, 30/11/2023.
[4] « L. Wauquiez a-t-il sanctionné des entreprises soucieuses d’écologie ? », Le Dauphiné Libéré, 23/12/2023.
[5] « David Lappartient : « Dans le microcosme parisien, ça fait bien d’être contre les JO… », Ouest France, 1/12/2023.
[6] « Le collectif No-JO se mobilise contre la candidature des Alpes », France 3 Région, 18/09/2023.